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attaché, culbuté et maintenu par plusieurs hommes, il est sanglé, sellé et muselé par le dompteur au moyen d’une corde qui lui serre les narines et passe dans la bouche. Tout ce travail est fait avec une brutalité excessive ; c’est avec des coups violens que l’homme cherche à faire passer dans l’esprit de l’animal la terreur qui semble remplir le sien. Quand il est moins furieux et déjà terrifié, le dompteur le monte, et, le serrant dans ses jarrets puissans, où une longue habitude a concentré toute la vigueur dont il est capable, il lui prouve sa supériorité par des coups redoublés. Le lasso qui retient les pieds de derrière est alors lâché et un premier galop essayé, course furibonde d’où cheval et cavalier reviennent épuisés au milieu des vivats. Il reste alors au dompteur à entreprendre quelque longue course de dix ou quinze lieues pour pouvoir livrer au propriétaire un cheval dompté et recevoir sa prime. Ce traitement a pour résultat de rendre tous ces chevaux fort doux, mais presque tous très difficiles au montoir ; ils se souviennent toujours de leurs premières relations avec l’homme ; une fois montés, ils sont généralement dociles, ignorent le trot, et ne connaissent guère que cette allure commode et monotone vulgairement appelée traquenard, allure générale à tous les chevaux de la pampa, et qui explique la facilité avec laquelle un Européen, même fraîchement débarqué, arrive à faire sans fatigue 20 ou 30 lieues par jour.

Il y a dans toutes les estancias plus de chevaux domptés qu’il n’est nécessaire, les débouchés sont insuffisans, et la pensée se présente naturellement d’utiliser au bénéfice de l’Europe cet excédant sans profit pour le pays. La chose est non-seulement à tenter, mais elle est relativement facile ; ni les capitaux, ni les moyens de transport, ni la matière transportable, ne pourront faire défaut. Le cheval en liberté coûte peu à nourrir, il s’accommode de tous les traitemens, à peine souffre-t-il des plus grandes sécheresses ; il subsiste et prospère sans soins aucuns. Vienne un débouché, et il est à présumer que l’élevage du cheval fera en peu d’années des progrès considérables ; même chose s’est produite en d’autres temps pour le mouton. Le prix d’une troupe de jumens pour l’élevage, étalon compris, est de 14 à 20 francs par tête ; le prix d’un cheval sellé et dompté s’élève dans la campagne jusqu’à 60 francs. Le prix moyen dans la ville a beaucoup augmenté, il est déjà de 150 à 200 francs ; les chevaux de carrosse valent jusqu’à 400 francs ainsi que ceux de tramways, dont la consommation est considérable. Voilà les conditions que rencontrerait l’acheteur en vue d’exportation ; on peut dire qu’en payant sur le marché producteur 150 francs en moyenne par cheval prêt à embarquer, on pourrait trouver des chevaux choisis, dressés et de robes assez élégantes.

Deux obstacles sérieux se présenteront : l’insuffisance de la taille