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accompagnée de trente ou quarante chevaux de relais. La création de nombreuses diligences a fait perdre peu à peu cette habitude coûteuse de voyager ; l’estanciero prend prosaïquement le chemin de fer ou la diligence. Celle-ci a des relais fixes et trouve à heure dite dans un lieu déterminé les chevaux dont elle a besoin, fournis sur le parcours par les propriétaires ; c’est une subvention que l’on accorde volontiers pour obtenir l’avantage d’un relais chez soi.

Les jumens donnent assez régulièrement deux poulains tous les trois ans ; les plus vieilles sont choisies chaque année à l’automne et envoyées au saladero pour y être abattues ; l’huile, la peau, les os, les sabots, sont matière à exportation. Le crin se recueille à part au printemps ; les jumens, prises au lasso dans le corral, sont jetées par terre, dépouillées de leur queue et de leur crinière, et, relâchées dans ce piteux état, vont rejoindre la manada. La crinière des chevaux est coupée de même, mais la queue est respectée ; cependant, en temps de révolution, des propriétaires prudens les privent, eux aussi, de cet ornement, évitant ainsi le vol ou la réquisition, ces deux fléaux de l’éleveur de chevaux ; il n’y a pas en effet une recrue qui consentît à monter un cheval ainsi ridiculisé.

Les jeunes poulains, après avoir subi à l’âge d’un ou deux ans l’opération de la marque et de la castration, sont vers trois ans remis au dompteur. Celui-ci est toujours un vrai pampasien ; né et élevé dans la pampa, il ne connaît la ville que de nom et ne met pied à terre que pour s’accroupir ou se coucher, jamais pour marcher ; il n’a d’autre bien que son cheval, d’autre lit que sa selle, dont les pièces nombreuses se divisent et forment un lit très confortable ; il est le plus souvent nomade, et va d’estancia en estancia exercer sa profession ; partout entouré de considération, il est fier de son mérite. Le cheval destiné à être dompté subit, avant de lui être remis, un travail préparatoire : pris en plaine avec les bolas[1] ou le lasso, il est ainsi traîné jusqu’au palenque, où il reste tout le jour attaché et les pieds entravés ; il est lâché de nuit et ramené le lendemain ; quelques jours de ce régime cruel adoucissent un peu son caractère et l’habituent à la présence de l’homme à pied. C’est en effet un des étonnemens de tous les animaux de la pampa que l’apparition de l’homme à pied, et même assez fréquemment les animaux qui fuient devant l’homme à cheval entourent l’homme à pied et l’attaquent jusqu’à mettre sa vie en péril, si la présence d’esprit l’abandonne. L’animal, ainsi un peu calmé, est pris avec deux lassos, l’un jeté au cou et l’autre aux pieds de derrière ; fortement

  1. Les bolas sont un engin composé de trois lanières de cuir en forme de T, chacune terminée par une boule de fer ou de pierre ; la plus petite se prend dans la main ; on imprime alors aux deux autres un mouvement de rotation précipité, et le tout jeté sur l’objet à atteindre vient l’embrasser avec une violence irrésistible.