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les caractères des écailles et de toutes les pièces tégumentaires qui forment des cuirasses chez certains poissons. Il en vint de la sorte à donner une importance excessive à des particularités qui ne coïncident pas toujours avec de notables modifications de l’ensemble de l’organisme. Néanmoins, dans la recherche poursuivie en vue de l’appréciation des affinités naturelles et des signes caractéristiques des principaux types de la classe des poissons, il eut un véritable bonheur. Des espèces qui vivent dans les lacs et les rivières de l’Amérique semblent aujourd’hui, à raison de leur structure étrange, comme isolées au milieu de la création ; on les nomme les lépidostées. Agassiz a reconnu dans ces poissons les derniers vestiges d’un groupe qui aux époques anciennes avait une multitude de représentai, animaux de grande taille rappelant par certains détails de conformation quelques-uns des traits des reptiles. Ce groupe, qui paraît aussi devoir comprendre les esturgeons, s’appelle, depuis les études du professeur de Neuchatel, l’ordre des ganoïdes.

Longtemps une erreur vigoureusement sapée, une vérité nettement dénoncée, ramèneront la pensée au souvenir du savant paléontologiste. Sans examen sérieux, on admettait que la vie aux premiers âges du monde s’était manifestée sous les formes les plus simples, que les êtres organisés avaient apparu suivant l’ordre qu’indique la complexité de leur organisation ; Agassiz montre par des exemples saisissans combien de pareilles croyances sont en opposition avec les faits le mieux constatés. « En considérant, dit-il, l’ensemble des êtres organisés que l’on trouve dans la série des formations géologiques, on reconnaît dans la succession une marche bien différente de celle que faisaient entrevoir les premiers aperçus publiés par les auteurs du commencement du siècle. On est surpris de remarquer que l’idée d’un développement progressif du règne animal tout entier tel qu’on le posait en fait ne s’accorde nullement avec les résultats des recherches paléontologiques les plus récentes. En effet, ajoute-t-il, l’observation n’a point confirmé que les animaux rayonnés aient précédé les mollusques et les articulés dans les formations les plus anciennes, ni que les animaux vertébrés soient apparus plus tard. On trouve au contraire que, dès la première apparition des animaux à la surface du globe, il y a eu simultanément des rayonnes, des mollusques, des articulés et même des vertébrés. » Ces paroles, écrites il y a plus de trente ans, n’ont point toujours été suffisamment méditées par ceux qui s’occupent aujourd’hui des commencemens de la vie sur le globe.

Les grandes publications sur les poissons et sur les glaciers avaient été coûteuses. Dans son ardeur à servir le progrès de la science, Agassiz s’était peu inquiété de l’équilibre des recettes et des