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perspective d’une concurrence. Il y avait donc dans le mouvement qui suivit la loi de 1865, à côté d’opérations très légitimes et très profitables pour les intérêts locaux, toute une série de combinaisons factices et périlleuses que favorisait la loi de 1867 relative à la formation des sociétés anonymes, et contre lesquelles les préfets, les conseils-généraux et le gouvernement, appelés respectivement à se prononcer, avaient grand embarras à se défendre. Comment repousser les offres si séduisantes de la spéculation ? comment refuser à des populations toujours avides de chemins de fer, comment refuser à des électeurs, dans un pays de suffrage universel, les avis favorables, les décisions qui étaient sollicitées si ardemment pour la construction de nouvelles voies ferrées ? Le gouvernement, qui, après avoir organisé le réseau national, croyait s’être déchargé de responsabilité et de soucis en laissant à chaque département le soin d’organiser les lignes accessoires, se voyait au contraire assailli plus que jamais de réclamations qui avaient pour elles l’appui très actif des conseils-généraux. C’était l’état des choses en 1870. À cette date, il n’y avait encore en exploitation que 300 kilomètres de chemins d’intérêt local, mais le chiffre des concessions commençait à atteindre un chiffre assez considérable pour éveiller au point de vue de la concurrence la sollicitude des anciennes compagnies. La loi du 10 août 1871 sur les attributions des conseils-généraux vint accroître les difficultés de la situation en autorisant ces conseils à se concerter directement et à passer des traités pour l’exécution des travaux intéressant plusieurs départemens.

Considérée en elle-même, cette autorisation marque un progrès sérieux dans notre régime administratif, elle dégage le pouvoir central, elle relève l’importance des assemblées locales, elle doit faciliter la conception et l’accomplissement de projets utiles ; mais, appliquée aux concessions de chemins de fer, elle peut avoir des conséquences que l’on n’avait point prévues lors du vote de la loi et produire de graves perturbations dans l’ensemble du système. Voici en effet ce qui est arrivé : dès que plusieurs départemens limitrophes eurent la faculté de s’entendre ainsi, les principales régions virent s’organiser des compagnies qui se déclaraient prêtes à construire des centaines de kilomètres formant un réseau complet, et les conseils-généraux furent sollicités de concéder nombre de lignes, dont les unes devaient appartenir à la catégorie des lignes d’intérêt national, dont les autres, par une direction parallèle et rapprochée, pouvaient faire concurrence à celles des grandes compagnies. Un plus vaste champ fut dès lors ouvert à la spéculation, qui déjà, dans le périmètre restreint d’un seul département, avait envahi et dénaturé les entreprises de voies ferrées locales. Loin d’y résister, les conseils-généraux ont accordé d’importantes