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motifs et du rapport de M. le comte Le Hon au corps législatif semblaient devoir suffire. Il était entendu que les entreprises dont on voulait encourager les efforts n’avaient rien de commun avec les vastes opérations financières que nécessite la création d’un grand réseau, et qu’il s’agissait de travaux modestes, économiques, dont le gouvernement avait eu le soin de faire étudier le type en Écosse, où l’on exploite à très peu de frais des lignes construites à moins de 100,000 francs par kilomètre. On supposait que des propriétaires, des agriculteurs, se réuniraient volontiers pour établir à frais communs, avec leurs propres ressources et sans appel au crédit, des embranchemens de chemins de fer en vue d’augmenter le produit de leurs immeubles et de leurs champs, sauf à ne pas recueillir de bénéfices et même à subir quelque perte sur la construction et l’exploitation de la voie. C’est ce qui arrive dans de nombreux districts aux États-Unis où des chemins de fer appartiennent aux propriétaires riverains, qui obtiennent par la plus-value de leurs biens fonciers et par le débouché ouvert aux produits de leur travail une ample compensation des sacrifices que leur coûte le moyen de transport. Bref, il n’était pas nécessaire que la loi de 1865 définît strictement l’intérêt local en matière de chemin de fer ; outre qu’une définition eût été très difficile à cause de la variété des applications, le législateur devait compter sur le bon sens public, sur le discernement des conseils-généraux et sur la loyauté du gouvernement pour que l’on ne s’écartât pas des principes certains qui avaient inspiré sa décision.

Dès les premières années, il ne fut pas malaisé de s’apercevoir que la nouvelle loi risquait d’être détournée de son but. Les demandes de concession affluèrent, ce qui n’était pas à regretter, mais la plupart n’étaient point conformes au programme qui avait été tracé. Une loi de 1867, en rendant libre la constitution des sociétés anonymes, ouvrit aux associations financières et aux spéculateurs des facilités excessives pour constituer régulièrement, sans garanties suffisantes, des compagnies de chemins de fer. On vit se présenter des concessionnaires tout à fait étrangers aux intérêts des départemens qu’ils proposaient d’enrichir par un réseau de voies ferrées : la spéculation consistait à prélever sur des fonds d’emprunt les bénéfices de la construction, sauf à livrer les lignes à tous les hasards d’une exploitation qui ne possédait point les élémens convenables pour rémunérer le capital et couvrir les dépenses. Souvent aussi les concessionnaires avaient simplement en vue de se faire racheter l’affaire par l’une des compagnies existantes, ainsi que cela s’est produit maintes fois en Angleterre et aux États-Unis, où des spéculateurs n’ont sollicité des concessions de lignes que pour les vendre avec prime à d’autres compagnies, effrayées par la