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Il résulte de ces explications que l’on ne saurait en pareille matière s’en rapporter exclusivement aux chiffres, et que le réseau français, au point où il en est, n’est pas aussi arriéré qu’on le prétend. Si nous possédons actuellement moins de kilomètres que n’en possède l’Angleterre, nous n’avons pas un kilomètre qui soit inutile ou superflu, il n’y a pas un centime dont on ait à regretter la dépense. Le réseau d’intérêt général, tracé par la main du gouvernement, a été combiné avec méthode et réparti avec équité. Telles portions de notre territoire n’auraient point aujourd’hui et n’auraient probablement jamais de chemins de fer, si nous avions adopté à l’origine le système anglais. Les lignes nouvelles que l’on sollicite avec raison au nom des intérêts locaux seraient pour la plupart absolument impraticables, on n’y songerait même pas, si le gouvernement n’avait point d’abord établi le grand réseau par les procédés auxquels on oppose bien à tort le régime appliqué dans d’autres pays.

Cette première objection étant écartée, se présente la critique adressée au monopole des chemins de fer. On soutient que ce monopole est contraire aux saines notions d’économie publique et à l’esprit nouveau de notre législation. Il aurait pour effet non-seulement d’entraver le développement du réseau, mais encore de rendre les transports moins abondans et plus coûteux en livrant les tarifs, dans les limites légales, à l’arbitraire des compagnies. On assure que sous un régime de concurrence, c’est-à-dire si les mêmes parcours étaient desservis par des lignes différentes appartenant à des entreprises distinctes, les prix de transport seraient moins élevés. A. cet égard, la critique s’appuie sur des vraisemblances théoriques et non sur l’observation des faits. Elle confond à tort avec l’ensemble du travail industriel la constitution des chemins de fer, qui forment une industrie toute spéciale ayant son point de départ dans une concession, dans un privilège nécessaire. En aucune hypothèse, la faculté de construire une voie ferrée sur le domaine public et sur les propriétés privées ne saurait être abandonnée à la volonté ou au caprice de chacun. Dès le début, le principe de la concurrence est inapplicable. On peut concevoir cependant la coexistence parallèle de plusieurs lignes, et il s’agit d’examiner si, dans ce champ de concurrence qui sera toujours plus ou moins limité, l’on doit compter que l’intérêt public sera mieux servi.

Il y a quelques années, la question méritait d’être posée, et la réponse pouvait être douteuse. Il n’en est plus de même aujourd’hui. L’expérience est faite et complète. La concurrence, telle qu’on voudrait la pratiquer en France, a existé en Angleterre et aux États-Unis. Au point de vue de la construction, elle y a produit la multiplicité des lignes et la création d’un grand nombre de