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hiérarchie si bien cimentée, il ne reste plus, le ciment détruit, qu’une poussière humaine. Semblable à ces momies des tombeaux égyptiens qui s’étaient conservées pendant des siècles dans une atmosphère raréfiée, mais qui tombent en poudre au premier souffle d’air libre, la société japonaise, au premier vent du dehors, s’est éparpillée en cendres.

Que pouvait-on faire et qu’a-t-on essayé pour prévenir le mal ? Peu de chose, car la crainte des pouvoirs révolutionnaires est plutôt de trop épargner que de trop détruire. Après avoir renversé l’aristocratie dans l’ordre politique, on a voulu conserver dans l’ordre civil une classe de privilégiés ; les anciens daïmios et samouraï ont été assimilés sous les noms de hazoku et shizoku aux anciens kugés et confondus avec eux ; mais les privilèges n’ont de raison que lorsqu’ils se rattachent à une fonction sociale ; hors de là, ils deviennent vite odieux. On a remplacé les anciens princes par une bureaucratie écrasante, dispendieuse et déprédatrice, qui ne peut passer pour une institution et ne constitue, si elle est une force, qu’une force de répulsion. A vrai dire, rien n’était prêt à succéder à la hiérarchie brisée. Par un malheur qui lui est commun avec toutes celles qui se font par autorité, la révolution de 1868 a été trop rapide, elle ne trouve à son lendemain personne pour la soutenir, parce que personne ne s’était préparé à la faire.

Il est difficile de ne pas être effrayé de l’isolement dans lequel vit le gouvernement, entre des privilégiés sans pouvoirs et une plèbe sans instinct politique. Jadis une puissance territoriale séparait l’empereur de ses sujets ; aux daïmios revenait tout l’odieux des mesures impopulaires, au monarque tout le prestige d’un pouvoir bienfaisant qui ne se faisait sentir que pour apaiser les querelles intestines et contenir la tyrannie des seigneurs. Aujourd’hui le flot des plaintes, des mécontentemens populaires, qui venait se briser contre les petits souverains locaux, roule sans obstacles jusqu’au pied du trône. La soumission coûte davantage envers un maître qui est plus loin ; la foule, qui aimait son prince quand il était bon, ne peut voir un père dans le gouverneur qui lui est envoyé de Yeddo et qui change de poste au bout de quelques mois. Elle accepte avec plus de peine encore de payer des impôts chaque jour plus lourds, dépensés en embellissemens pour la capitale sans qu’il en revienne rien à la province. L’impopularité de toutes ces mesures, dont quelques-unes sont inévitables, remonte jusqu’au souverain lui-même ; il ne peut plus commettre une faute impunément.

En résumé, le Japon n’a plus d’institutions. Comment s’en donnera-t-il ? A notre avis, il devrait beaucoup moins regarder au dehors et beaucoup plus au dedans. Les lois ne se transplantent