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morale ne diminue pas. Une déférence sans bornes, des soins et des attentions de toute sorte font de cette retraite une situation honorable que tout père de famille envisage avec joie pour ses vieux jours. En offrant à la vieillesse un refuge entouré de vénération, l’inkyo maintient à la fois l’administration dans des mains capables et le prestige de l’autorité dans celui qui ne l’exerce plus ; il comble une lacune qu’un éminent jurisconsulte contemporain a signalée en termes éloquens dans nos lois.

Telle était la solidarité du groupe familial, que la loi jadis poursuivait tous les membres pour le crime d’un seul, qu’il fût le chef on en puissance. Ce que la loi ne fait plus, l’opinion publique n’a pas cessé de le faire. De là une institution qui servait à maintenir l’unité de la famille en éloignant d’elle tous les élémens rebelles : c’est le kando, détachement ou expulsion d’un membre dont l’inconduite pourrait entraîner la responsabilité civile ou morale des siens. Le kando ne peut avoir lieu que dans le cas de prodigalité, vol, violences, adultère, et seulement contre un fils majeur de quinze ans. Il faut que la mère soit d’accord pour le demander au magistrat local, qui l’ordonne, si le motif est justifié. L’enfant ainsi frappé sort de la famille ; il n’a plus ni asile, ni secours, ni héritage à attendre de ses parens. La seule faveur qu’il en reçoive, c’est au moment de la séparation une petite somme qu’on appelle namida kin, l’or des larmes, car c’est une mère qui le donne à un fils qui va la quitter pour toujours. Il doit s’éloigner de sa province et ne tarde pas à devenir un vagabond, un mendiant ou fin voleur ; mais sa famille n’a plus à en rougir. Il ne peut y rentrer que s’il sauve la vie de son ancien seigneur dans un accident quelconque, ou s’il prouve avec éclat qu’il s’est amendé. Les parens demandent alors la révocation du kando au magistrat, qui décide arbitrairement. Cette institution, que l’adoucissement des mœurs tend à faire disparaître, n’a jamais existé chez les samouraï ; en cas d’inconduite grave, c’est par le harakiri ordonné au fils qu’un père sauvait l’honneur de sa maison.

La famille japonaise, avec sa constitution despotique, suppose et consacre des principes auxquels nos mœurs et nos lois occidentales sont étrangères. Tandis que les affections naturelles sont chez nous les seuls liens entre parens, elles semblent ici rejetées au second plan pour faire place à des devoirs rigoureux imposés sous des menaces terribles. La piété filiale a je ne sais quoi de contraint et de conventionnel ; l’obéissance tient plus de la crainte que de la confiance. L’union des agnats assemblés en conseil ou en tribunal domestique repose moins sur une bienveillance réciproque que sur une communauté d’intérêts, d’honneur, de réputation. Les préjugés sont plus forts que les sentimens et en tiennent lieu. Ceux-ci n’ont pas d’ailleurs chez les races peu nerveuses de l’Orient cette