Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce que César dit des Gaulois, le peuple est presque regardé comme esclave, résume les droits politiques de la nation japonaise. Les nobles y sont nés pour gouverner, les autres pour obéir ; il y a des fonctionnaires et des administrés ; il ne faut y chercher ni citoyens, ni liberté individuelle, ni égalité civile. L’homme du peuple ne peut ni porter des armes, ni monter à cheval, ni se faire porter en kango, ni s’habiller d’une certaine façon, ni se marier ou disposer de ses biens de la même manière que les privilégiés. Ne l’interrogez pas sur ses droits civils, il n’en a pas, ou n’en a que par une tolérance qui peut cesser sans qu’il s’en étonne. Les coutumes, qui varient d’une province à l’autre, assez précises sur les droits civils du samouraï, sont muettes sur ceux du roturier. Voilà pour l’égalité civile.

Quant à la liberté individuelle, si les anciennes prohibitions de voyager d’une province à l’autre, de sortir de l’empire, d’entretenir des relations avec les étrangers, d’embrasser et de pratiquer la religion chrétienne, sont tombées, elles peuvent renaître au gré du pouvoir. Un décret changera la forme des chapeaux ou ordonnera l’adoption d’une nouvelle coiffure sans exciter l’hilarité, ni l’indignation. Les hommes ne se sentent pas plus libres dans l’état que l’enfant sous l’autorité paternelle. La monarchie absolue a rempli l’esprit public de son image et formé les institutions privées sur le modèle du gouvernement.

Ce rapport intime se manifeste avant tout dans la famille. Sous la double influence du despotisme et de la féodalité, le droit domestique a concentré toute l’autorité dans une seule personne, le chef de la communauté. Comme tous les peuples orientaux, le Japon n’a donné à la femme qu’une place secondaire dans la vie sociale. Nubile à douze ou treize ans, elle n’est qu’une enfant à l’âge où elle peut déjà charmer, et la raison ne lui vient qu’à l’âge où elle atteint une précoce décadence. La femme n’est dans les premiers temps que la fille aînée de son mari, dans la suite qu’une ménagère soumise ; la maternité seule lui donne quelque considération. « La femme, dit Confucius, doit obéir à son père quand elle est jeune, à son époux quand elle est mariée, à ses enfans quand elle devient veuve. »

Le mariage est un contrat purement civil, où la religion n’intervient pas. Il est généralement précédé des fiançailles, tantôt simples, si les parties n’échangent qu’une promesse de vive voix, tantôt solennelles, si elles s’engagent par écrit et par l’accomplissement de certains rites. Jamais un garçon, encore moins une fille, n’osent parler de mariage à leurs parens ; s’ils se sentent une inclination qu’ils désirent consacrer, ils demandent à une personne tierce d’en faire part à leur père et mère. Souvent, sans même consulter leurs enfans, et alors qu’ils sont en bas âge, les parens les fiancent avec une famille dont ils briguent l’alliance, et les