Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/266

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesures les plus graves qui s’imposent au gouvernement est d’asseoir du même coup sur de nouvelles bases et la propriété et l’impôt.

La hiérarchie a pris possession du sol, comment va-t-elle l’administrer ? Il faudrait, pour répondre à cette question, passer en revue toute la série des règlemens et des usages administratifs sous le fardeau desquels gémissait le Japon, dénombrer cette armée de fonctionnaires grands et petits, qui transmettent l’action du gouvernement, récapituler tous les services qu’ils rendaient au pays et tous les abus qu’ils commettaient à son détriment. Nulle part, sauf en Chine, le fonctionnarisme ne s’est plus librement épanoui ; mais, laissant de côté mille règles de détail relatives à la voirie, à l’agriculture, à la garde des frontières stratégiques de Yeddo, au prix des transports, aux deuils, aux bateleurs en plein vent et nécromanciens, aux plaisirs permis, tolérés ou défendus, à l’ordre public extérieur, nous nous bornerons à quelques indications sur la police générale.

On ne saurait imaginer la patience et la sagacité déployées par les Japonais dans cette branche de l’administration, bien plus considérable chez eux que partout ailleurs. C’est à peine si le mot de police est assez compréhensif pour embrasser les divers services qui assurent l’exécution des règlemens innombrables sur la voirie, les transports, les tarifs des prix, les prérogatives des voyageurs suivant leur classe et leur qualité, la tenue des maisons, le personnel des auberges, les registres d’inscription des voyageurs, les mesures à prendre en cas d’incendie, la surveillance des marchés, la vérification des poids et mesures, la proscription du christianisme, la mendicité et le vagabondage. A chaque pas, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, l’individu trouve devant lui un fonctionnaire chargé de lui dicter ses actions, de le mener par la main, de le contrôler et de le punir. Tout nouveau-né est inscrit sur un registre tenu dans chaque village où l’on ouvre un feuillet à chaque nouvel habitant, comme un commerçant ouvre un compte à un client ; c’est le nin-betseu, à la fois livre de l’état civil et sommier de police. Là sont relatés tous les incidens de la vie, le nom qu’on donne à l’enfant le trentième jour après sa naissance si c’est une fille, le trente et unième jour si c’est un garçon, la secte à laquelle il appartient, l’adoption dont il est l’objet, la profession qu’il embrasse, les délits dont il se rend coupable, les voyages qu’il fait, le mariage, le moment où il devient chef de famille, les noms et le nombre de ses enfans, le divorce, la retraite, le genre de mort ; le feuillet n’est clos que lorsque les prêtres ont adressé au nanushi un certificat de sépulture.

En dehors de cette action officielle, la police en avait une occulte, encore plus puissante ; l’article 90 des Cent-Lois disait : « Dans les