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molécule sociale appartient à un groupe qui lui-même se rattache par des rapports nécessaires à l’ensemble. Tout se tient et s’enchaîne. Nul n’échappe à cette série d’engrenages ; le ronine (l’homme flottant), celui qui a renoncé à son clan ou trahi son prince, n’a plus ni famille, ni patrie ; il devient un étranger, un ennemi public. L’individu se sent paralysé par une force supérieure, rivé à sa position humble ou élevée comme le zoophyte à son rocher. Il sent peser au-dessus de lui et se dresser de toutes parts autour de lui des nécessités invincibles ; tout l’avertit de ne pas se révolter contre une destinée qu’il ne peut refaire, ni changer. Nulle société n’est stable sans doute, si ces sentimens n’y sont admis et ces nécessités reconnues ; mais, tandis que l’homme de grande race les raisonne et les accepte, l’homme de race inférieure les subit aveuglément. Cette étude resterait incomplète, si nous n’essayions d’indiquer quel esprit général cimentait tout l’édifice que nous avons décrit, quelles précautions étaient prises pour le consolider et en écarter les causes de ruine.

Quel législateur n’a fait ce rêve : assurer à son œuvre l’immutabilité ? L’Orient seul a donné de tels témoignages de piété à ses précepteurs. Yéyas revient à plusieurs reprises sur ce sujet. « Alors, connaissant la loi, j’ai fait une innovation ; que cela ne se fasse plus à l’avenir ! » et ailleurs : « il est défendu de changer un règlement vicieux, si, sans qu’on s’aperçoive du vice, il est demeuré en vigueur plus de cinquante ans. » Il ne se contente pas de platoniques conseils ; il se préoccupe d’écarter tous les dangers d’innovation. Le plus grand de tous eût été la présence des étrangers. Déjà sous le prédécesseur de Yéyas avaient commencé les persécutions contre le christianisme provoquées par l’attitude même de ses adhérens. On n’ignore pas à quel massacre épouvantable elles aboutirent quelques années après lui. De toutes les religions, c’est la seule qui soit exclue par les Cent-Lois de la tolérance universelle ; le principe de l’église romaine qui place la souveraineté en dehors de l’état était en opposition trop flagrante avec les desseins du despote, Quant aux étrangers, — expulsés progressivement du Japon, — ils furent relégués dans le petit îlot de Désima, où la soif du gain retint quelques Hollandais au prix de mille vexations.

L’empire était désormais fermé. Défense fut faite aux indigènes de voyager à l’extérieur sans une autorisation, et la forme même des jonques fut réglée de manière à leur interdire les longs voyages. On retrouve encore comme une trace de ces prohibitions dans l’accueil soupçonneux que rencontrent parfois à leur retour ceux que le gouvernement envoie en Europe. « Dans les rares occasions où l’on sera forcé d’entrer en relations avec les barbares, il faudra du moins se tenir sur une grande réserve et leur imposer par l’appareil