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trône, on établit quatre familles impériales, shi-shin-wo, qui eurent le privilège exclusif de fournir des monarques, soit en cas d’extinction de la ligne directe, soit même en cas d’indignité de l’héritier du sang. Ces familles, dont les deux premières ont encore des représentai, portaient les noms d’Arisungawa, Fushimi, Katsura, Kumin. Au-dessous d’elles se plaçaient dans une hiérarchie toute conventionnelle les cinq familles adjointes ou gosekkai. Leurs membres résidaient autour du palais dans des enceintes séparées et entouraient constamment la personne royale. Aussitôt dépouillés de leurs fonctions militaires, les mikados, condamnés à l’existence claustrale du sérail, tombèrent aux mains d’un entourage intrigant, à qui toutes les ambitions étaient permises. Le caractère particulier de cette cour était en effet l’origine identique de tous ceux qui en faisaient partie. Les kugès étaient des descendans soit des lignes collatérales, soit des bâtards nés des douze concubines officielles, par conséquent tous parens des mikados. Ils se rasaient la tête, se laquaient les dents, portaient un seul sabre, et, ne se mariant qu’entre eux, formaient une caste à part, fière de sa naissance et des privilèges qui s’y rattachaient, de sa préséance sur les chefs militaires les plus importans, de son inscription sur le « grand-livre de la noblesse, » de son droit exclusif d’approcher le descendant des dieux. Pendant longtemps, ils exercèrent seuls ce qui restait de pouvoir à l’empereur ; si puissans qu’ils fussent chez eux, les chefs de clans n’avaient pas entrée à la cour et ne pouvaient s’emparer de la direction des affaires. L’étiquette orientale et le prestige mystérieux de ce gouvernement invisible retardèrent pendant longtemps une chute imminente.

En résumé, la forme du gouvernement à cette époque était un despotisme théocratique, superposé à une oligarchie guerrière, l’un représentant une volonté sans moyens d’action, l’autre une force sans unité de direction. Ce dualisme, qu’on retrouve à toutes les époques de l’histoire du Japon et jusqu’à nos jours, est inhérent à la nature même de l’esprit national, qui échappe à la centralisation et recherche les petits groupes, le fractionnement, le morcellement infini. Ce qu’il faut dire, c’est que la domination du mikado, absolue sur les cinq provinces qui entouraient Kioto, était très paternelle.

Il paraît difficile chez nous de réprimer un sourire quand on parle de gouvernement paternel ; mais le mot reçoit ici son acception vraie et ne représente pas une pure fiction. A côté de quelques monstres, l’histoire mentionne la plupart du temps les noms de souverains bienfaisans. Non-seulement la sagesse chinoise prise à la lettre, mais la raison d’état elle-même leur trace cette voie. Épargner les petits, ne pas s’aliéner les masses, se préoccuper de leur bien-être, prendre indirectement leur avis sans avoir l’air de les consulter,