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absorbante, ils échauffent l’eau. L’entonnoir croît ainsi en largeur et en profondeur jusqu’à devenir un petit lac d’où s’échappe une rivière.

Pendant cinq années consécutives, Agassiz avait multiplié les observations ; le monde savant ne les connaissait que par des communications et par des notices sur les principales excursions que rédigeait M. Desor ; le temps était venu d’en présenter le résumé. En 1840, l’infatigable investigateur fit paraître ce résumé sous le titre d’Études sur les glaciers[1]. L’ancienne extension prouvée, il livre sa pensée sur la formation des immenses nappes de glace ; on peut juger si la pensée est grande. « Lorsque la terre s’est refroidie, remarque l’auteur, les régions polaires ont dû être le point vers lequel toute la masse d’eau vaporisée dans les régions méridionales venait se condenser et se précipiter sous la forme de pluie, de grêle et de neige, aussi longtemps que persista l’abaissement de la température. Il en est nécessairement résulté des accumulations immenses de neige et de glace sous lesquelles les êtres organisés de l’époque ont été ensevelis… La durée de cette époque de glace a été considérable, puisqu’elle embrasse le soulèvement des Alpes et tous les phénomènes de retrait auxquels la fonte de cette masse a donné lieu. » Cette vue d’un âge lointain n’est-elle pas saisissante ? Sur pareille matière, longtemps sans doute on pourra discuter, mais Agassiz a consigné des faits de la plus haute importance jusqu’alors ignorés ; il a le droit d’être fier du progrès scientifique accompli. Croit-il donc l’œuvre achevée ? Assurément non ; de toutes ses forces, il appelle de nouvelles investigations de la part des géologues et des physiciens ; à l’instant où s’impriment les dernières pages de son livre, lui-même est à l’hospice du Grimsel, continuant ses recherches.

En effet, dès les premiers jours du mois d’août, Agassiz était arrivé en cet endroit avec Charles Vogt, Desor, Nicolet et deux étudians de Neuchatel. On avait emporté des instrumens, car cette fois il s’agissait de déterminer la température des glaciers, de reconnaître l’action de l’atmosphère, d’étudier les formes de la neige, de s’assurer de la manière dont la neige grenue, c’est-à-dire le névé, passe à l’état de glace. L’intendant de l’hospice avait reçu les naturalistes avec une extrême cordialité ; il mettait tout son monde à leur disposition. Pour guides, on avait deux hommes d’une expérience éprouvée. Il fut résolu qu’on irait s’établir sur le glacier inférieur de l’Aar, qui offre un intérêt spécial par sa situation et par son caractère ; la surface est encombrée de débris de rochers produisant l’effet d’un amas de ruines. A l’approche de la moraine, les

  1. Neuchatel, 1 vol. in-8o, accompagné d’un atlas de grandes planches.