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dès qu’ils sauront qu’ils sont exposés à toutes les divulgations. On n’aura pas même la ressource de faire dans l’administration intérieure ce qu’on fait dans la diplomatie, d’avoir des pièces réservées et secrètes, parce que les fonctionnaires craindront de laisser à leurs successeurs, qui peuvent être des adversaires politiques, des confidences dont on pourrait abuser. Ni sûreté ni solidarité dans les affaires d’état, et en définitive c’est le service public qui en souffrira, c’est le pays qui fait toujours les frais de ces jeux de partis, de ces chocs d’indiscrétions qui éclaboussent un peu tout le monde.

Certes rien ne prouve mieux le danger de ces procédés que ce qui se passe au sujet de cette éternelle affaire de l’élection de M. de Bourgoing dans la Nièvre. On a voulu avoir toutes les communications possibles, on les a obtenues, et même on a eu, à ce qu’il semble, plus qu’on ne désirait ; on a trouvé ce qu’on ne cherchait pas, ce qui était parfaitement étranger à l’élection de la Nièvre. Des notes équivoques de police, des documens d’origine inavouable, se sont trouvés mêlés au dossier. La commission, dit-on aujourd’hui, ne voulait pas s’en servir, elle avait décidé, il y a trois mois, qu’elle ne les publierait pas. Oui, mais la commission a si bien gardé son secret depuis trois mois que nombre de députés l’ont connu, et naturellement tout cela a couru le monde. Si c’est ainsi qu’on pense faire une guerre efficace au bonapartisme, on se trompe singulièrement, on lui donne au contraire des armes, des prétextes de représailles qu’il ne se fait pas faute de saisir. On ne combattra utilement, victorieusement le bonapartisme que par une politique sérieuse, par l’affermissement d’un état régulier qui décourage ses prétentions et lui montre qu’il n’a plus rien à espérer après avoir fait à la France tout le mal qu’il pouvait lui faire. On n’y prend pas garde, et c’est là ce qu’il y a d’attristant pour les esprits réfléchis, avec ces habitudes, sous un prétexte ou sous l’autre, on finit par détruire la notion de l’état, par affaiblir les conditions de gouvernement, sans rehausser le régime parlementaire par des affectations d’omnipotence qui vont aboutir à une politique de commérages.

Rien de semblable n’arriverait sans doute, s’il y avait un gouvernement ayant un peu plus le sentiment de son autorité et de son rôle dans la situation où se trouve aujourd’hui la France, un peu moins préoccupé de ménager des fractions de majorité, de se prêter même à de dangereuses faiblesses. Sans contredit, si M. le ministre de l’instruction publique n’avait pas cette idée fixe de faire plaisir à la droite, il défendrait plus résolument le droit de l’état dans la discussion sur l’enseignement supérieur. Évidemment, si depuis deux ans les divers ministères qui se sont succédé n’avaient pas paru avoir de singulières condescendances pour les bonapartistes dans un intérêt de majorité, le gouvernement n’aurait eu aucune peine à maintenir ses droits de-