Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

témoigne que le glacier d’Œschinen, aujourd’hui éloigné d’une lieue, remplissait à une autre époque toute la vallée supérieure de Kandersteg. La petite troupe atteint Stalden ; c’est la première étape. Le lendemain, dès l’aube, elle s’engage dans l’étroite vallée de Saint-Nicolas, semée de hameaux dans les endroits les plus larges. Vers la sortie, les cimes neigeuses dominent la vallée, les glaciers paraissent suspendus, tant ils sont escarpés. Considérant l’extrême inclinaison de celui qui descend en face du village de Randa, les naturalistes jugent qu’il ne pourrait tenir en place, s’il n’adhérait fortement au sol, — remarque d’une haute importance pour l’explication de la marche des glaciers. A une lieue de Zermatt apparaissent les premières traces de roches polies, motif de joie pour les explorateurs ; un peu plus loin se dessine tout à coup la grande dent du Mont-Cervin : surprise, elle n’a pas de neige, tandis que les cimes moins élevées en sont couvertes ; il y a une cause qu’il faudra rechercher. A Zermatt, que ne visitent point encore les touristes, on trouve l’hospitalité chez le médecin, docteur sans prétention et d’une simplicité primitive. Aux alentours du village, les champs d’orge sur les flancs de la montagne à 300 ou 400 mètres au-dessus de la vallée, les filets d’eau habilement ménagés afin d’entretenir l’irrigation du sol ingrat, disent aux voyageurs combien parfois l’homme pauvre sait tirer parti des plus infimes ressources.

Plusieurs journées doivent être consacrées aux études, la première sera pour le Riffel. Au sortir de Zermatt, on s’achemine vers la forêt de mélèzes qui couronne au sud l’une des terrasses de la chaîne du Mont-Rose. Bientôt se montrent les aiguilles du glacier, puis une grande voûte ; c’est de là que s’échappe la Viège, qui porte ses eaux dans le Rhône. La masse de glace ne s’arrête qu’à la vallée en pleine culture, bordée de champs et de frais pâturages. Sur le même théâtre, le spectacle de l’hiver et de l’été frappe par le contraste et l’étrange beauté les investigateurs en peine de découvrir le rôle de ces masses de glace à travers les âges du monde. Au-dessus de la forêt s’étend jusqu’au pied de la crête du Riffel un plateau verdoyant ; l’ascension de la crête est pénible, tous cependant finissent par atteindre le sommet. Un instant le silence règne, chacun se sent oppressé à la vue de la scène ; une exclamation retentit, aussitôt répétée : c’est sublime. Là se déploient, en face dans sa magnificence la grande chaîne du Mont-Rose, en bas l’énorme glacier de Zermatt, partout des masses gigantesques. Le dessinateur prend un croquis du vaste panorama ; Agassiz surveille, rapporte Desor, afin que l’artiste ne s’avise pas de corriger la nature. Le plateau du Riffel, situé à 500 pieds au-dessus du glacier, est