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Le prince Gortchakof se prêta de bonne grâce à toutes ces prévenances du cabinet des Tuileries. Par exemple, il ne fut pas assez complaisant pour le suivre dans une campagne de remontrances contre le gouvernement de Naples, campagne entreprise de concert avec le cabinet de Saint-James, à la suite des fameuses lettres adressées à lord Aberdeen par M. Gladstone sur le régime du roi Ferdinand II. Une pareille ingérence dans les affaires intérieures d’un état indépendant ne parut pas bien correcte aux yeux du successeur du comte Nesselrode ; mais il fut d’autant plus empressé à seconder l’empereur Napoléon III dans ses généreux desseins toutes les fois qu’il s’agissait d’améliorer le sort des populations chrétiennes dans l’empire ottoman, d’augmenter leur autonomie, et, comme on le disait alors, de réformer le Turc. « Pour réformer le Turc, opinait méchamment M. Thouvenel, l’ambassadeur de France à Constantinople, il faudrait d’abord commencer par l’empaler ; » on commença du moins par lui appliquer la question du hatt-houmayoum, par l’interroger sur ses intentions en faveur des raïas de la Bosnie, de la Bulgarie et de l’Herzégovine, et par agacer passablement avec tout cela les cabinets de Vienne et de Londres. Bien plus grande fut naturellement la sollicitude pour les états vassaux du bon padishah, pour la Moldavie, la Valachie, la Serbie et le Monténégro ; ces états avaient déjà une demi-indépendance, on fit le possible pour la rendre entière.

Le petit prince du Monténégro, ancien protégé et salarié de l’empereur Nicolas, était venu visiter le souverain de la France après la paix de Paris, et eut dès son retour des démêlés avec le sultan, à la suite desquels l’Algésiras et l’Impétueuse parurent devant Raguse. Des vaisseaux français dans les eaux d’Orient pour menacer la Turquie, à la grande mortification de l’Angleterre et de l’Autriche, aux grands applaudissemens de la Russie, et tout cela deux ans à peine après la guerre de Crimée ! .. Le spectacle ne manquait pas assurément d’originalité et préparait le monde à une série de surprises. Vers le même temps, la Serbie venait de chasser le prince Alexandre Kara Géorgevitch, et de rappeler au trône le vieux Miloch Obrenovitch. La Porte protesta, l’Angleterre et l’Autriche se joignirent à la protestation ; mais, grâce aux efforts communs de la Russie et de la France, on finit par donner raison à l’assemblée nationale serbe, dont le principal grief contre le prince dépossédé fut d’avoir montré trop de sympathie pour les alliés dans la guerre de 1853 ! — La question des principautés danubiennes présenta un côté tout autrement grave et tout autrement piquant aussi. La France et la Russie avaient plaidé au congrès de Paris pour l’union complète de la Moldavie et de la Valachie ; les autres puissances s’y étaient opposées,