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gantiers ont voulu faire de même, mais les patrons n’ont pas accepté des relations aussi étroites ; ils se sont contentés de décider que l’ordre du jour de chacune des séances de la chambre patronale serait adressé à la chambre ouvrière, avec invitation d’envoyer deux délégués. D’autres chambres syndicales ouvrières sont plus exclusives ; sans se mettre complètement en hostilité avec les patrons, elles craignent de compromettre leur indépendance par des relations régulières et officielles avec eux.

Il ne semble pas que jusqu’ici toutes ces petites sociétés soient très prospères ; presque tous les rapports se plaignent de la froideur, de la négligence des ouvriers à s’affilier ou à payer leurs cotisations, qui sont en général de 25 centimes par quinzaine ou de 50 centimes par mois, contribution modique à coup sûr. Il ne paraît pas que plus de la moitié des travailleurs de chaque corps d’état ait adhéré à ces associations ; beaucoup d’entre elles sont endettées soit par d’anciennes grèves, soit par une mauvaise gestion ; celles des graveurs, celles des marbriers sont dans ce cas. Les agens comptables n’ont pas toujours été irréprochables ; la tenue des livres n’est pas très connue dans ces petites sociétés. « Des délégués d’ateliers infidèles à leur mandat se sont appropriés des cotisations et ont ensuite disparu comme l’ombre. » C’est le rapporteur des marbriers qui parle ainsi. Dans certaines de ces chambres syndicales, le bureau est permanent et quelquefois n’a pas changé depuis la fondation, chez les orfèvres par exemple ; dans la plupart au contraire, il n’y a ni président, ni vice-président, chacun l’est à tour de rôle ; le secrétaire seul est permanent. Toutes ces fonctions sont en général gratuites, quelques-uns proposent de les rémunérer.

On voit combien ces jeunes associations ont besoin d’efforts pour arriver à avoir des ressources et de la puissance ; à vrai dire, quelques-unes sont d’un désintéressement, d’une fierté ou d’une imprévoyance singulière. C’est ainsi que l’article premier des statuts de la chambre syndicale des coupeurs et brocheurs de chaussures de Paris contient cette clause étrange : « la chambre syndicale s’interdit toute acceptation de dons et legs. » Peut-être n’y a-t-il là qu’un renoncement tout philosophique à des biens sur la venue desquels ne comptaient guère les organisateurs de la société. On ne comprend pas pourquoi les chambres syndicales feraient vœu de pauvreté ; l’argent leur est nécessaire, qu’elles n’hésitent donc pas à le prendre quand il leur arrive de bonne grâce. Déjà dans plusieurs corporations la chambre syndicale a enfanté une société de crédit mutuel ou une société coopérative de production ; c’est ce système de générations successives qui doit former la nouvelle méthode d’émancipation du prolétariat. Le délégué des marbriers raconte avec assez de détails ce qui s’est passé dans ce sens au