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d’eux, le délégué des fondeurs en caractères, va jusqu’à dire que l’on ne devrait admettre comme apprentis que les fils d’ouvriers de la profession et non ceux des hommes déclassés de tous les métiers. La plupart toutefois sont plus modérés, ils se contentent de regretter que les travaux des champs soient de plus en plus abandonnés pour ceux des villes : poétique sentiment, s’il était absolument spontané et s’il n’était pas inspiré par un intérêt personnel.

Les rapports sont plus justes et plus intéressans quand ils dépeignent la triste condition faite à l’apprenti. Généralement il n’y a pas de contrat écrit : les courses en ville, le nettoyage de l’atelier, quelquefois les services personnels envers le patron, prennent la plus grande partie du temps de l’enfant ou du jeune hommes le reste n’est pas employé d’une manière plus fructueuse pour lui. Ses occupations sont beaucoup trop spécialisées : on lui donne un détail à faire, toujours le même, parce qu’au bout de peu de temps il arrive à l’exécuter plus facilement, ce qui profite au patron ; s’il est apprenti mécanicien par exemple, on lui fait polir des vis ou ébaucher des pièces, rien de plus pendant des années. Un apprenti en optique, d’après le délégué des opticiens, n’aurait été employé pendant quatre ou cinq ans qu’à faire des biseaux soit aux verres de boussoles, soit à des boutons de verre, c’est-à-dire le travail d’un apprenti lapidaire, et il ignorait ce qu’est un objectif. Les conseils des prud’hommes on le sait, sont chargés aujourd’hui de faire respecter les contrats d’apprentissage : s’acquittent-ils bien de cette tâche ? Le délégué des marbriers l’assure ; tous les autres déclarent que cette surveillance est insuffisante ; si un apprenti viole son contrat, c’est-à-dire quitté le patron avant le temps déterminé, il est condamné par le conseil ; mais, si un patron ne remplit pas ses obligations, c’est-à-dire s’il n’a donné aucune instruction sérieuse à l’apprenti, comme cette violation ne se manifeste pas par un fait précis et déterminé, elle n’entraîne aucune peine et aucune indemnité. La réforme de l’apprentissage est absolument nécessaire ; il y a là plus qu’un intérêt industriel, il y a un intérêt social. Les ouvriers déclarent qu’eux seuls, par leurs chambres syndicales, peuvent accomplir cette réforme. Ils ont déjà commencé : dans quelques corporations, ils ont fondé soit des cours professionnels, soit des bureaux de placement, c’est le délégué des ouvriers en voitures qui nous l’apprend. Les chambres syndicales des patrons aussi se sont occupées de la même question. Assurément les associations ouvrières des divers corps d’état, si elles parvenaient à s’organiser, pourraient rendre l’apprentissage plus fécond et plus moral à la fois.

Il semble que les ouvriers soient enfin pénétrés de la doctrine du selfhelp, aide-toi toi-même : ils veulent tout faire par leurs propres