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à son égard. En vérité, on ne peut blâmer ces restrictions. C’est déjà beaucoup que d’avoir obtenu des ouvriers une sorte de reconnaissance des bienfaits de la mécanique. Le délégué des conducteurs typographes est vraiment un enthousiaste des machines. Quelques autres délégués, ceux des cordonniers, des ouvriers en voitures, des imprimeurs typographes, tout en admettant et en célébrant même les avantages des machines, font des réserves sur l’application qui en est faite. Le délégué des mécaniciens de précision semble exprimer avec exactitude le sentiment général de ses confrères quand il dit : « C’est un besoin impérieux du présent d’avoir des connaissances suffisantes pour que l’ouvrier puisse tourner à son profit l’action révolutionnaire des machines-outils dans la main-d’œuvre mécanique. » La possession de l’outillage industriel par les sociétés coopératives, c’est là le rêve de l’ouvrier de nos jours : il est certain que la réalisation générale de cet idéal se fera longtemps attendre. Quant aux tempéramens qui doivent accompagner et adoucir l’introduction de machines nouvelles, l’ouvrier a raison de les rechercher et de les réclamer. Par malheur il est assez difficile de découvrir des mesures ; protectrices qui soient universellement applicables. Le délégué des ouvriers en voitures propose que, dans le cas d’introduction de machines nouvelles, la journée de travail soit réduite d’une heure ou d’un temps plus ou moins long, afin que tout le personnel puisse être conservé. Une semblable pratique, si elle ne devait pas être temporaire et exceptionnelle, aurait bien des inconvéniens : elle ferait une situation tout à fait privilégiée aux ouvriers des corps d’état où la mécanique se serait le plus développée, et les consommateurs ne profiteraient pas de la baisse des prix ; enfin, comme il est peu probable que toutes les nations s’entendissent pour une semblable réglementation, elle donnerait des avantages aux industriels étrangers qui seraient moins humains ou moins débonnaires. Pour protéger l’ouvrier contre les maux qu’entraîne la brusque introduction de machines dans une industrie, nous ne voyons guère qu’une garantie efficace : l’assistance mutuelle fortement organisée. Si les ouvriers réalisaient avec le temps leur projet de constituer une foule de petites sociétés accumulant des fonds de prévoyance et se soutenant réciproquement, ils pourraient supporter, sans trop souffrir, les crises passagères qui seraient la suite d’un changement instantané de l’outillage industriel.

Remarquons d’ailleurs que ces complètes révolutions de la mécanique sont rares et le deviendront de jour en jour davantage. Il se passe un grand nombre d’années avant qu’une machine dont les avantages sont reconnus ait envahi tous les ateliers et chassé les méthodes antérieures de travail. Voyez le tissage à la main, qui n’est pas encore complètement détruit, quoique le tissage