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conseiller, son ami. C’était beau sans doute d’avoir conquis l’estime de Cuvier et de Humboldt, alors au faîte des grandeurs de ce monde ; cependant cela ne pouvait suffire. Le jeune naturaliste étant pauvre, la nécessité d’une position lucrative devint impérieuse. S’adressant à un homme des plus considérés de Neuchatel, M. Louis Coulon, il exprime à cet ami de la science le désir d’avoir une place de professeur d’histoire naturelle au gymnase de la ville. Jamais personne n’avait songé à l’enseignement de l’histoire naturelle à Neuchatel, néanmoins M. Coulon juge l’idée bonne ; après force démarches, l’affaire s’arrange, il se voit en mesure de garantir un traitement de 2,000 francs pendant trois années.

Enchanté de prendre possession d’une chaire, Agassiz arrive en Suisse. Tout manque à Neuchatel pour le cours d’histoire naturelle ; on n’a pas de collection, pas de salle disponible, le jeune professeur doit se mettre en peine. Avec quelques pièces apportées d’Allemagne, divers objets sont réunis à la hâte pour les démonstrations ; c’est le commencement du musée ; on finit par trouver une salle à l’hôtel de ville. Si Agassiz se préoccupait de l’enseignement, il s’inquiétait bien davantage encore de ses études personnelles, de la publication de ses travaux sur les poissons fossiles et sur les poissons d’eau douce. Sans souci de l’avenir, agissant comme eût fait un homme riche, il retient près de lui des artistes pour l’exécution des planches, il appelle un compatriote pour établir une imprimerie lithographique à sa portée. Avec cette dévorante activité, la première livraison des Recherches sur les poissons fossiles parut dès l’année 1833. C’est un beau moment pour l’auteur ; viendront plus tard les momens d’embarras. La poursuite de l’œuvre entreprise exigeait des visites dans tous les musées ; les pièces fossiles, surtout les plus remarquables, restent en général dans les pays où elles ont été découvertes ; jamais ainsi une collection ne remplace une autre collection. Agassiz dut faire de fréquens voyages en Europe ; tour à tour on le voit en France, en Angleterre, en Écosse, en Irlande, en Allemagne, consignant les résultats de ses récentes observations dans les recueils scientifiques. Partout on se montrait ravi de recevoir ce jeune savant qui étonnait par la profondeur des pensées ou charmait par l’agrément de causeries pleines d’originalité et de gaîté. D’agréables relations se nouèrent en ces jours heureux pour le naturaliste enthousiaste de l’investigation scientifique, elles laisseront en son âme d’ineffaçables souvenirs.

Dans Neuchatel, un souffle nouveau se faisait sentir ; au sein de la société cultivée, on ne voyait pas sans orgueil le musée d’histoire naturelle dont l’accroissement marchait avec rapidité ; on prenait goût aux questions agitées ou sur le monde ancien ou sur le