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ainsi recueillis en quelques jours. Les chambres syndicales ouvrières organisèrent aussi des collectes dans leur sein. Une commission d’initiative fut instituée pour centraliser tous les efforts. On voulait entourer le choix des délégués de toutes les garanties qu’exige l’esprit démocratique. La commission d’initiative s’adressa donc à toutes les corporations ouvrières de Paris, les priant de nommer chacune un représentant pour la composition d’une commission du travail, qu’on chargerait d’arrêter un programme général qui servirait de mandat impératif aux délégués. Il paraît que la police ou le gouvernement s’inquiéta de tous ces préparatifs un peu compliqués. Le Corsaire fut supprimé, la commission du travail dut se dissoudre ; elle fut remplacée par deux autres moins nombreuses, l’une dite exécutive, composée de cinq membres, l’autre, dite de contrôle, n’ayant que trois membres, et chargée de surveiller la première.

On trouve dans toute cette organisation une nouvelle preuve du goût des ouvriers pour la multiplicité des comités, dont la plupart n’ont d’autre objet que de se faire contre-poids et de se contrôler mutuellement. Les délégués parisiens à l’exposition de Vienne furent élus dans le sein de chaque corps d’état après plusieurs délibérations. Dans la plupart des corporations, on fit subir des examens aux candidats, on rédigea un questionnaire qui devait servir, de guide à l’élu. L’élection d’un député ne donne pas lieu à plus de discussions et à une plus sérieuse enquête. Un fait qui distingue la délégation nouvelle de toutes les précédentes, c’est qu’elle ne fut pas composée seulement d’ouvriers parisiens : un certain nombre de villes de France envoyèrent aussi à Vienne des travailleurs manuels désignés par leurs camarades ; Lyon, Angers, Angoulême, Nancy, Limoges, Mèze (Hérault), furent ainsi représentés par des ouvriers. À Lyon, le conseil municipal et le conseil-général, où domine l’élément radical, votèrent une subvention ; à Angoulême, l’assemblée ouvrière pour le choix des candidats se tint pacifiquement dans une salle de la mairie. À Limoges au contraire, qui est soumis à l’état de siège, il ne put pas y avoir de réunion préparatoire, l’autorité militaire ayant refusé son consentement, mais le vote eut lieu quand même. Après leur nomination, les délégués se réunirent deux fois à Paris en assemblée générale, puis le 2 août 1873 ils partirent pour Vienne. Les membres de la délégation ouvrière étaient au nombre de 107, moitié moins environ qu’en 1862 : la pénurie d’argent était sans doute la cause de cette réduction de nombre. On remarquera qu’en 1862 le voyage s’était fait par séries, chacune ne comprenant qu’une vingtaine d’ouvriers ; en 1873 au contraire, ils partirent et revinrent tous ensemble. À peu près tous les corps d’état se trouvaient représentés dans cette délégation, on y rencontre même un instituteur et une institutrice nommés, nous dit-on, par un syndicat