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Français, M. Wey rappelait des noms, évoquait des souvenirs, qui eussent servi au besoin de caution à ses assertions les plus imprévues. Certes ce n’était point un guide banal, l’ami à la suite duquel il lui fut donné de parcourir cette ville étrange qu’on ne quitte jamais sans douleur et dont la première vue provoque presque toujours tant de désappointement. L’abbé Aulagnier formait avec Ampère le noyau de cette colonie française dont Rome pendant vingt ans était devenue comme la seconde patrie. Nul, pas même le sagace auteur de l’histoire romaine à Rome, ne connaissait mieux le dessus et le dessous de cette terre historique, dont ils avaient tant de fois ensemble fouillé les entrailles, étudié les horizons et mesuré les monumens. Comme il l’aimait, cette Italie dont le climat cependant le tuait jour à jour ! Il eût voulu communiquer sa passion à tous les arrivans nouveaux qu’on lui adressait sans merci, et, malgré une expérience chaque année répétée, il ne se lassait pas de compter sur l’intérêt et l’intelligence de ceux qui le plus souvent exploitaient sa bonté sans reconnaissance, ce dont il ne gardait pas de rancune, et sans profit, ce qui lui semblait alors un tort impardonnable. Aussi quelle joie et quel repos quand il pouvait se fatiguer au service d’un auditeur comme M. F. Wey, et quelle tristesse celui-ci dut sentir se mêler à tant de curiosités satisfaites en examinant seul cette fois, si peu d’années après la mort de l’abbé, ce forum, ces pentes du Cœlius, ce Palatin, ces rues dont la pioche exhume aujourd’hui tant de trésors ! « Les pieds me brûlent, disait Ampère en foulant les détritus qui lui cachaient le forum, — et penser qu’un jour viendra, ce sera demain peut-être, où tant de problèmes s’éclairciront, tant de chefs-d’œuvre ressusciteront de leur tombeau, et que je ne serai plus là pour comprendre et pour voir ! » Il est en effet venu, ce jour que prévoyait Ampère, où sa chère Rome sort enfin de son linceul de ruines et de sa poussière de marbre. Le voilà déjà presque complet, ce forum où s’écrivirent dans la gloire et dans la honte tant de pages qui sont comme les feuillets de l’histoire du genre humain tout entier. Voilà les rostres de Jules tout près du temple de sa mère Vénus, et non loin de l’arc de Titus le piédestal de Domitien, tant de génie, tant de vertu et tant d’abjections ! Lorsque la nouvelle de ces découvertes parvint à M. Wey, il jugea que son livre demeurerait incomplet, s’il n’y joignait les révélations que les fouilles font surgir du vieux sol des Quirites depuis les rivages d’Ostie jusqu’aux sommets des sept collines. Le gouvernement, en livrant la vieille ville à M. Rosa et en lui permettant de faire rendre gorge à Rome chrétienne au profit de Rome impériale, a-t-il eu tort ou raison ? Voilà un point difficile à juger, qui agite bien des consciences et soulève bien des passions. Les catholiques s’émeuvent de ce qu’ils appellent la profanation du Colisée ; l’enlèvement de cette croix, sur le bois de laquelle tant de lèvres pieuses et illustres se sont collées, a paru un scandale aux âmes chrétiennes, en