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rans manœuvreront, à l’aise, fussent-ils une armée, et les éléphans du roi de Siam, fussent-ils un troupeau, n’auront qu’à se présenter pour être admis.

Ce qui, jusqu’à nouvel ordre, reste encore un secret, c’est la résonnance ; l’épreuve à laquelle nous avons assisté n’a rien donné que d’assez imparfait. L’orchestre sonnait creux, l’ouverture de la Muette, celle du Freyschütz, semblaient sortir du fond d’un puits, c’était sourd, étouffé, point confus cependant, l’oreille frustrée comme volume percevait clairement les nuances, ce qui indiquerait que le mal est remédiable, et qu’en exhaussant le niveau d’un demi-mètre, en mettant l’orchestre de plain-pied avec le premier rang des fauteuils on obtiendra l’éclat et la puissance nécessaires. En revanche, les voix portent bien, et, dans la Bénédiction des poignards, M. Gailhard a superbement dissipé les derniers doutes. — La séance musicale terminée, et après avoir, non sans émotion, entendu ces voûtes magnifiques résonner pour la première fois en public des superbes accens d’un Auber et d’un Meyerbeer, nous nous sommes remis à parcourir la cité splendide. L’émerveillement s’accroît à chaque pas, et le vertige aussi. Vainement vos yeux cherchent une ligne où se reposer, ils ne trouvent que des labyrintes qui se contournent, tant de porphyre, de jaspe et d’or vous étourdissent de leurs coruscations tapageuses. À vos côtés grincent des cariatides polychromes qui semblent garder le tombeau d’un pharaon, là-bas des fontaines jaillissent, et, comme si ce n’était pas assez de vacarme, toutes les allégories du vieil olympe, toutes les renommées battent des ailes au plafond et soufflent à s’époumonner dans leurs trompettes. Au milieu de ce luxe qui fait rage, vos esprits rêvent le calme du grand art, l’harmonie même dans l’arabesque, vous dites : Ictinus, Phidias, Jean Goujon, et l’implacable écho vous répond : Midas et Dédale. Cet éclat, ce bruit, ont quelque chose d’assyrien et de bas-empire. Ces coupoles s’ouvriraient un beau soir pour laisser tomber une pluie de roses, de violettes et de lis sous laquelle tout un public périrait étouffé, que l’histoire raconterait ce fait sans étonnement. Ce n’est point là l’art d’un peuple libre, c’est du style Heliogabale ; mais tel que cela est, c’est réussi.

Maintenant, si vous interrogez l’édifice au simple point de vue de sa destination, la musique, qui devrait être tout, n’y apparaît qu’au second plan. Dans cette espèce de temple de Memphis, dans ce colossal pandémonium d’escaliers, de galeries, de balcons, de foyers, de fumoirs et de promenoirs, la salle est comme perdue, oubliée, l’orchestre gît au fond d’un trou, il faut se pencher pour le voir et se tourmenter l’oreille pour l’entendre. Et puis tous ces trésors exposés à l’incendie, ce royal musée promis en pâture aux flammes qui tôt ou tard dévorent les théâtres ! car pourquoi chercherait-on à s’abuser ? Un théâtre, quel qu’il soit et puisse