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de penser à quelqu’un qui ne sera pas l’auteur lui-même. En présence du meurtrier Ourrias et de son interminable monologue, vous rêverez au Freyschütz, à Weber, qui brillera surtout par son absence dans la scène fantasmagorique de la nuit de la Saint-Médard sur les bords du Rhône. Lorsque viendra le tableau de la Crau, vous vous direz que, si Félicien David, monté sur son chameau, passait par là, ce lourd désert serait peut-être moins ennuyeux, et quant au pèlerinage à la chapelle des saintes Marie, vous vous abstiendrez prudemment d’y assister, vous promettant de revenir le lendemain pour entendre le finale du Pardon de Ploermel, sur le même sujet. C’est l’arbre de Noël que cette partition ; les papillotes de papier doré, les bougies bleues et roses, les petits pains de sucre y pendent aux branches, sous forme de jolis morceaux détachés. Dans un salon, Magali, la romance de Mireille, feront vos délices ; mais gardez-vous d’aller jamais au-delà d’une simple cueillette. À la représentation et vu d’ensemble, ce n’est pas supportable.

À quoi donc sert l’expérience ? Voilà un ouvrage tombé il y a dix ans, et qu’on imagine de venir aujourd’hui relever à grands renforts de mise en scène et de publicité apologétique. La prétention s’excuserait, si, dans la chute d’autrefois, une cabale et la mauvaise éducation du public étaient entrées pour quelque chose ; mais non ! Le public, très suffisamment éclairé, s’était montré fort débonnaire et n’avait protesté que par sa lassitude d’abord et ensuite par son absence. Quant à la critique, tout en déclarant l’œuvre médiocre, elle avait applaudi à certains détails qui d’ailleurs avaient survécu. Quel sens alors attribuer à cette reprise et de qui se moque-t-on ici ? Est-ce un défi à l’opinion, un coup de tête du directeur ? Peut-être à la fois l’un et l’autre ; dans tous les cas, étant donnée la crise où se débat le théâtre, cette aventure-là semble bien risquée. Parlons de Mme  Carvalho, de la poétique Mme  Carvalho, car c’est ainsi que ses amis persistent à la désigner sans prendre garde que cette artiste peut représenter une personnalité musicale des plus intéressantes, mais que sa physionomie, son geste, sa parole (non chantée), sa caractéristique, comme disent les Allemands, sont au contraire ce qu’il y a de plus bourgeois. Qu’elle ait réussi dans Marguerite, dans Juliette, dans Mireille, le mérite de la cantatrice n’en ressort que davantage par le fait de tant d’autres difficultés vaincues. Louons son incomparable phrase, ses demi-teintes savantissimes dans la chanson de l’Hirondelle, affirmons, si cela peut lui plaire et tromper les âmes croyantes, que sa voix a rajeuni de dix ans, mais taisons-nous sur tout le reste et laissons de côté la poésie. Mme  Carvalho a chanté mieux que personne les opéras de son musicien favori ; elle a été non pas Juliette, non pas Marguerite, mais la Juliette et la Marguerite de M. Gounod, sans entrevoir ni prétendre rien au-delà de ces agréables réductions de deux immortelles figures. Quant