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et ne cesserons de nous écrier comme au temps de l’administration Strakosch : Plutôt cent fois pas d’Italiens qu’un pareil régime ! N’avons-nous point assez d’autres misères sans venir encore étaler cette déchéance aux yeux de l’Europe, qui semble ne plus rechercher de nous que nos opérettes ? Je voudrais que l’état, lorsqu’un spéculateur se présente, commençât par lui dire : « Où sont vos millions ? Assez d’expériences, de tâtonnemens, de débuts et de défilés macabres ! Assez de ces grandes cantatrices à prix réduits ; j’entends que vous me donniez une troupe comme on en voit à Londres et à Pétersbourg, une troupe sérieuse et que vous paierez énormément cher. Donc montrez-nous vos millions, car, si vous n’en possédez pas au moins deux, inutile d’entamer la partie ! » Pour tenir ce langage, dont les résultats ne tarderaient pas à se faire sentir, il faudrait simplement un ministre des Beaux-Arts capable de prendre en main les choses de son département, quelqu’un en un mot qui fût au fait ; mais ce quelqu’un, où le trouver désormais ? En dehors du ministre, empêché par vingt raisons dont la première est qu’il ne se doute pas de la question, existe-t-il au moins un directeur-général s’intéressant à la musique, ayant des vues ? Nullement, il y a les bureaux, c’est-à-dire l’irresponsabilité, la routine : « nommons un tel, c’est un bon enfant ! »

Parmi ces nomades que le public du Théâtre-Italien voit ainsi passer devant lui, tous cependant ne sont pas du même ordre ; s’il en est d’absolument ridicules, on en peut citer aussi de recommandables : Mme Pozzoni, belle voix dramatique, mais usée et qui ne tient pas la note, tragédienne exubérante et dont la pantomime va se maniérant jusqu’à la grimace. Tandis que la cantatrice chante toujours en force, l’actrice, au plein de la passion, arrondit son geste avec des préoccupations plastiques on ne peut plus réjouissantes et qui vous rappellent la Ristori au retour de son expédition en Californie. Mettez une artiste comme Mme Pozzoni dans une grande ville de province, elle y fera bonne figure. Paris a d’autres exigences que doivent comprendre ceux à qui sont délivrés certains privilèges à subvention. C’est déjà quelque chose d’assez extraordinaire chez nous que ce théâtre à deux fins qui, après vous avoir inondé de cavatines italiennes, vous administrera sa douche de musique française. Tâchons que tout ceci ne tourne pas à l’arlequinade, et d’abord efforçons-nous de restreindre le jeu ; de deux exploitations, n’en gardons qu’une et que ce soit la bonne.

Même dans les circonstances actuelles, un théâtre italien peut encore être une excellente affaire. L’ancienne clientèle, qu’on croyait disparue, s’est inopinément retrouvée cet été, brillante, émue, enthousiaste ; un chef-d’œuvre de Verdi, deux admirables cantatrices, Teresa Stolz et la Waldmann, avaient suffi pour ce miracle. J’en dis autant d’un théâtre lyrique, les beaux jours de la direction Carvalho peuvent égale-