Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politiques. Sans doute dire : « il faut faire quelque chose, » sans savoir quoi, est un préjugé absurde ; mais dire qu’il ne faut jamais rien faire n’est pas beaucoup plus raisonnable. Un médecin prudent n’agit pas inutilement ; cependant, s’il n’agissait pas du tout, ce serait la négation même de la médecine ; d’ailleurs l’incrédulité absolue est tout aussi bien le résultat de l’ignorance que la crédulité aveugle. Les ignorans ne croient pas aux médecins : ils les font appeler par superstition, mais ils n’appliquent pas les remèdes. On dit : mieux vaut mourir de la maladie que du médecin. Ce sont là des mots de comédie. Il y a à craindre les répercussions ; sans doute, mais elles sont étudiées ; c’est là précisément un des objets de la science, et le meilleur médecin est celui qui les connaît le mieux. Tout cela peut s’appliquer à la politique. Le principe absolu du « ne rien faire » conduirait à une sorte de fatalisme musulman. Il y a une multitude de cas où il est impossible de ne rien faire. Un peuple voisin change le système de ses armes et adopte un système perfectionné ; faut-il ne rien faire ? Une guerre vous accable ; vous êtes forcé de payer subitement une somme considérable. Il s’agit de trouver de l’argent ; faut-il ne rien faire ? Une révolte a lieu ; faut-il ne rien faire ? Une foule d’institutions gothiques subsistent encore qui chargent les citoyens, arrêtent le travail et abaissent les hommes ; ne fera-t-on rien ? Détruire, n’est-ce pas encore faire quelque chose ? Nous n’examinons pas ici les préventions exagérées de l’auteur contre l’action de l’état ; mais, si ces préventions sont fondées, ne faut-il pas au moins réduire cette action, là où elle est exorbitante ? La doctrine du ne rien faire conduirait à l’abstention en tout : elle maintiendrait les monopoles, les autocraties, les privilèges, les lois restrictives et prohibitives, partout où ces abus existeraient, et irait précisément en sens inverse de ce que demande l’auteur.

Cette doctrine d’ailleurs peut avoir deux sens : elle peut s’appliquer soit à l’état, soit aux citoyens. Appliquée à l’état, c’est tout simplement le self-government, qui suppose précisément que, si l’état ne fait rien, les citoyens feront beaucoup. Appliquée aux citoyens, c’est la doctrine de l’abstention, qui est la mort du corps politique. Ce n’est pas là évidemment la pensée de l’auteur ; mais ce sera celle du lecteur, que l’on aura effrayé par la vue des innombrables conséquences possibles de ses votes. Il serait beaucoup plus sage de lui dire : Au moment du vote, agissez suivant votre conscience, selon vos lumières ; mais jusque-là instruisez-vous. En un mot, c’est précisément parce qu’à un moment donné il faudra agir sous l’inspiration de sa conscience et de ses lumières du moment, soit à titre de simple citoyen, soit à titre d’administrateur, qu’il est