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cueillir, de se renouveler, enfourche le vieux dada et se remet à courir la bague la lance au poing et le casque en tête, comme dans sa romance de Page, écuyer et capitaine ; de sorte qu’on pourrait dire à M. Membrée, en un langage que l’auteur de François Villon comprendra : Mais tout ce que vous nous donnez là, cher maître, c’est de la musique d’antan ! Le poème avait pourtant du bon : imaginez une féerie de l’ancien boulevard dont le principal personnage serait un des plus vénérables confesseurs de la foi, une féerie à grand spectacle avec changemens à vue et feux pyrrhiques, qui choisirait ses trucs parmi les miracles. Saint François-Xavier ressuscite les morts, change les bûchers en petits bateaux qui vont sur l’eau, conjure les démons, baptise les infidèles, fait la pluie et le beau temps, tout cela au moyen d’un crucifix qu’il agite au moment voulu et qui lui sert de talisman. C’est d’un naïf dans l’inconvenance véritablement prodigieux, et dépassant de beaucoup les mysticités fantaisistes de M. Jules Massenet, et sa Marie-Magdeleine d’opéra comique. M. Membrée aime les nobles sujets, son aspiration tend vers la hauteur, il crierait volontiers : Excelsior, mais le souffle manque ; il se monte la tête, s’enlève, et son Pégase, non moins impuissant qu’ambitieux, épuise ses forces à battre le vide. Mme de Girardin disait jadis d’un académicien célèbre qu’il composait d’abord sa phrase et puis cherchait quelque chose à mettre dedans ; c’est l’histoire de M. Membrée, il vous ouvre des horizons à perte de vue, ébauche des tracés gigantesques, qu’il remplit ensuite de poncifs variés dont il semble posséder tout un solde. Ainsi dans l’Esclave c’était de la marchandise de Donizetti qu’on nous offrait. Aujourd’hui cette scène finale des Parias, avec ses unissons vocaux, son crescendo des cuivres que des roulemens de timbales accompagnent, ses reprises en pianissimo succédant à la furie des élémens déchaînés, tout cet appareil renouvelé de la Bénédiction des poignards, nous vient directement de Meyerbeer. M. Membrée n’a qu’un tort, celui d’avoir manqué son heure. Dépêchons-nous d’employer les remèdes pendant qu’ils guérissent, et les formules pendant qu’elles réussissent. Les œuvres faites de génie défient le temps. Fidelio pourrait avoir dormi soixante ans au fond d’une armoire, qu’il n’en serait pas moins un chef-d’œuvre au jour quelconque de son apparition. Le talent au contraire a ses servitudes ; il lui faut arriver à point nommé, et s’il laisse échapper l’occasion, adieu paniers, les vendanges sont faites. M. Edmond Membrée est un homme de talent qui n’a pas réussi. La cause de cet insuccès tient à des circonstances connues ou inconnues, mais indépendantes de son mérite, car pour du mérite, il en a certes, et autant au moins que M. Thomas, dont la vie s’est également passée à ravauder les idées de tout le monde ;

Mais par où l’un périt, un autre est conservé,