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REVUE MUSICALE

Si la période musicale que nous traversons est improductive en chefs-d’œuvre, ce n’est toujours pas l’activité qui lui manque. Dans tous les sens, le mouvement rayonne ; il y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses, et, chose encore bien consolante au milieu de ce débordement de l’opérette, le sentiment du grand art, loin de décroître, ne fait que s’affirmer davantage, il semble que Beethoven, Haydn, Mozart, Weber, Mendelssohn, les dieux, les demi-dieux et les héros de la symphonie ne nous suffisent pas ; nous remontons le courant jusqu’à l’Oratorio de Haendel, et le vieux Bach lui-même ne nous cause nul effroi : après le Messie, Judas Macchabée ! La foule s’y porte et comprend : qui se mettrait aujourd’hui à nous bâtir une salle de concerts aurait chance de ne perdre ni sa peine ni son argent ; mais il faudrait que ce fût une vraie salle avec de grandes et petites orgues à demeure, un local spacieux, à belle résonnance, et qui jamais, sous aucun prétexte, ne devînt un cirque d’hiver ou d’été. La liberté des théâtres aura produit en peu de temps cet effet merveilleux de remplacer partout la comédie et le drame par l’opéra, l’opéra comique et l’opérette. Tout ce qui naguère se disait, maintenant on le chante ; la musique, — la bonne comme la mauvaise, — est devenue l’art prédominant. Elle est à la fois notre salut et notre perte ; mais, quelque opinion qu’on professe, ce qu’il y a d’incontestable, c’est qu’en dehors du Théâtre-Français et du Gymnase vous ne citeriez pas une scène qui songe à se passer d’elle. Des Folies-Dramatiques à l’Académie nationale, en traversant la Renaissance, la Gaîté, les Variétés, les Bouffes-Parisiens, l’Opéra-Comique, tous vont l’exploitant, tous en vivent, à moins cependant qu’ils n’en meurent comme cet Opéra-Populaire dont les grandeurs et la décadence fourniraient le sujet d’un roman picaresque.

Infortuné théâtre, il commença par dévorer ses directeurs ; avant même d’ouvrir ses portes, il en avait déjà consommé trois dynasties ! Et comment serait-ce autrement quand on songe aux conditions de pa-