Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’activité, la licence morale et la délicatesse dans les liaisons. Ce qui reste de ce monde, de ses mœurs, de ses passions ou de ses goûts, c’est ce qu’en disent les mémoires, surtout ces correspondances tirées de l’oubli, qui de temps à autre ajoutent une page à l’histoire ou au roman d’un siècle, qui remettent au jour des personnages à demi effacés ou à peu près inconnus, et qui en définitive, de cette société d’autrefois aux dehors décevans, montrent l’essence, le tempérament, la vérité simple et humaine.

Le roman, le roman vrai de l’amour, où est-il au XVIIIe siècle ? Il n’est pas plus dans les déclamations éloquentes d’une nouvelle Héloïse que dans les galanteries fugitives des contes licencieux ; il est dans la réalité, dans la vie de tous les jours ; il est, même au XVIIIe siècle, jusque dans le mariage entre des personnes comme ce maréchal et cette maréchale de Beauvau, qui vivent si bien l’un pour l’autre, et au sujet desquels leur fille, cette jeune princesse de Poix, disait avec une bonne grâce spirituelle lorsqu’on lui interdisait la lecture des romans : « Défendez-moi donc de voir mon père et ma mère ! » Il est aussi quelquefois dans ce qui ressemble le plus au mariage, dans ces liaisons plus libres, plus irrégulières, mais sincères, sérieuses et durables, qui ont laissé une expression survivante. Le vrai roman de l’amour, il est dans les délicatesses de passion d’une Mlle Aïssé ou dans les pathétiques ardeurs d’une Mlle de Lespinasse. Il est dans le long attachement d’une Mme d’Houdetot, et n’est-ce point aussi un des chapitres de ce roman de l’amour au XVIIIe siècle que cette correspondance nouvelle, histoire d’une liaison discrète et sûre poursuivie à travers les contre-temps et les séparations, même à travers les crises publiques, dénouée ou resserrée après des années par le mariage, entre une femme jusqu’ici peu connue et un homme plus renommé pour sa légèreté que pour sa constance, Mme de Sabran et le chevalier de Boufflers ? Vrai roman en effet, commencé par une amitié de gens bien élevés, continué par une affection ardente et invariable, animé par l’imagination et la grâce d’une femme qui, en se révélant elle-même pour la première fois, en se peignant tout entière dans ses lettres, relève celui qu’elle a aimé, celui qui, malgré tout, abbé chevalier ou marquis de Boufflers, maréchal-de-camp des armées du roi, membre de l’Académie française ou gentilhomme libéral à l’assemblée constituante, était resté un des types de la frivolité aimable. Boufflers valait mieux que sa réputation, et Mme de Sabran est à peine nommée dans les mémoires d’un temps dont elle reste désormais une des expressions les plus attachantes.

Ils étaient tous les deux de ce monde élégant et lettré de la fin du XVIIIe siècle. Le chevalier de Boufflers avait certes de qui tenir