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ignorée. Que d’erreurs élémentaires, que de superstitions nuisibles, règnent en ces matières ! Combien croient encore que le luxe fait aller le commerce, que la charité est le remède de la misère, que l’état est doué de vertus innées et de science infuse ! Combien s’imaginent qu’il ne faut ni compétence ni études spéciales et préparatoires pour décider en matière sociale ! A la rigueur, à la sévérité de méthode que l’on applique dans les autres sciences, l’auteur oppose la légèreté, l’impatience, la négligence que l’on porte dans la science politique. Les savans eux-mêmes, si exigeans dans leurs propres sciences, croient qu’en politique ils peuvent juger du premier coup et sans examen. Rien de plus étrange, par exemple, que de voir des médecins qui savent combien la science de la vie est chose délicate et complexe, et avec quelle prudence il y faut toucher, adopter en politique les idées les plus exagérées sur la possibilité des réformes, comme si la société était un organisme plus simple que l’individu, et qu’il fût moins dangereux d’y toucher sans précaution.

Voulez-vous vous rendre compte des précautions délicates qu’exigent la constatation de la vérité et l’élimination des moindres chances d’erreur, consultez la science astronomique. On en est venu à mesurer la durée des actions nerveuses, et la différence de temps qu’exige chaque sensation suivant les individus ; c’est ce que l’on appelle « l’équation personnelle. » Comme la vitesse du courant nerveux peut varier de 30 à 90 mètres par seconde, comme elle est un peu plus grande en été qu’en hiver, comme, entre le moment où l’observateur voit le phénomène dans le ciel et celui où il l’enregistre avec le doigt, il s’écoule un intervalle qui diffère d’une façon appréciable suivant les personnes, les astronomes ont calculé l’étendue particulière de l’erreur dans chaque observateur, et ils ont pris des moyennes pour annuler autant que possible la portée de cette erreur. On voit par là à quel degré d’exactitude et de précision ont été portées en astronomie les précautions et les méthodes. Demandez maintenant à ce même astronome, si exigeant dans sa propre science, ce qu’il pense de telle ou telle institution, il répondra sans hésiter et sans aucune étude préalable. Inutile de consulter l’histoire, de rechercher les conséquences qu’ont eues telles ou telles institutions soit dans notre pays, soit dans les autres ; inutile de chercher par analogie ce qui arriverait si on renonçait à l’institution projetée, et s’il ne surgirait pas quelque équivalent ; inutile de rechercher quels sont les effets indirects de l’institution, si, pour produire certains effets palpables, elle ne produira pas des répercussions fâcheuses, si elle n’arrêtera pas ou ne supprimera pas d’autres moyens qui conduisent aux mêmes fins. En physique, on calculera la déviation causée par les milieux ; en doctrine sociale, on supprime sans y penser l’action des milieux. En météorologie, on se reconnaît