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dégagée de la cause de l’ancien régime. Sur un théâtre moins éclatant, mais au milieu d’épreuves non moins tragiques, M. Augustin Cochin a donné le modèle du rôle qui nous semble à la fois le plus noble et le plus pratique en un temps comme le nôtre. Sa famille, son éducation, ses croyances, tout semblait l’attacher d’avance à la vieille société légitimiste ; il aurait pu s’enfermer, comme des milliers d’autres, dans l’ignorance du présent, il aurait pu du moins, comme les meilleurs, se consacrer d’une manière exclusive aux œuvres de la charité catholique ; il comprit qu’il y avait mieux à faire pour un chrétien du XIXe siècle. Dans ce monde où se heurtent tant d’élémens contraires, il ne vit pas seulement des misères à soulager, il vit des malentendus à éclaircir, des préjugés à vaincre, des conciliations à tenter, et devint ainsi l’un des ouvriers les plus actifs, l’un des serviteurs les plus bienfaisans de la société moderne.

M. Augustin Cochin était issu d’une saine et solide lignée. Il appartenait à cette vieille bourgeoisie parisienne qui a été à toute époque une des forces de la France. Au XIIIe siècle, un de ses ancêtres fut échevin de Paris et contribua pour sa part aux premiers embellissemens de la cité de saint Louis. Au XVIe siècle, sous les derniers Valois, on rencontre un autre Cochin à Paris, dans l’administration municipale. L’église, la magistrature, l’université, le barreau, le commerce, les arts, peuvent citer avec honneur bien des membres de cette famille laborieuse et féconde. Sous le règne de Louis XIV, lorsque messire Claude-Denis Cochin mourut à l’âge de quatre-vingt-huit ans, il était « doyen des anciens juges consuls, doyen des anciens échevins de Paris, doyen des grands messagers jurés de l’Université, doyen des quarante porteurs de la châsse de sainte Geneviève, doyen des commissaires des pauvres. » M. de Falloux fait remarquer ici que, pour obtenir la plupart de ces dignités, il fallait être d’origine parisienne et de réputation sans tache. Voilà des parchemins qui sont vraiment des titres de noblesse.

Cent ans après, à l’époque où la parole judiciaire commence à se débarrasser de la scolastique et du mauvais goût, les grands avocats du temps de Voltaire et de Beccaria, les Mariette, les Élie de Beaumont, saluent comme leur ancien et comme leur maître l’éloquent Henri Cochin, qui, pendant la première moitié du XVIIIe siècle, fit l’admiration du parlement de Paris. Il excellait dans l’improvisation ; il avait le feu, l’abondance, la grâce ; sa voix était harmonieuse, sa diction vibrante, et tous ces dons extérieurs, toutes ces qualités du talent étaient au service de l’âme la plus scrupuleuse, de la conscience la plus droite. Cet avocat faisait office de juge. Ses plaidoyers avaient souvent l’autorité d’un arrêt, et sa parole a suffi