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ce comité deux protestans, Rabaut Saint-Etienne et Barnave, et, comme on lui prêtait attention, il ajouta : « Je ne crois pas, quoi qu’on puisse faire, qu’on parvienne à forcer les évêques à quitter leurs sièges. Si on les chasse de leur palais, ils se retireront dans la cabane du pauvre qu’ils ont nourri ; si on leur ôte leur croix d’or, ils prendront une croix de bois. C’est une croix de bois qui a sauvé le monde. »

Pendant quelques minutes, la tumultueuse assemblée garda le silence. Ces éloquentes paroles, la postérité les a consacrées ; elles mériteront d’être rappelées tant que vivra le nom de Montlosier. Elles sont gravées sur la pierre de son tombeau. L’auteur du Mémoire à consulter repose sous les vieux cyprès de Randanne, dans cette terre des volcans qu’il avait fertilisée.


III

Cependant l’assemblée continuait, sans beaucoup de méthode, d’ajouter au premier chapitre constitutionnel des chapitres nouveaux. Se défiant de plus en plus des intentions de la cour, elle glissait sur la pente qui devait bientôt l’amener à concentrer entre ses mains tous les pouvoirs. Les agens du gouvernement, qui répondaient de tout, ne pouvaient plus agir sur rien. Le ministère avait à peine un huissier à sa nomination. Montlosier voulut éclairer le côté droit. Prévoyant le départ de Louis XVI, il fit paraître vers le milieu de 1790, sous le titre un peu prétentieux d’Essai sur l’art de constituer les peuples, un examen des opérations constitutionnelles de l’assemblée. L’ouvrage avait été composé avec la coopération de Bergasse ; c’était un vrai plan de constitution : une seconde édition fut publiée en 1791. Montlosier critiquait vivement la marche de l’assemblée. Son point de départ est le respect de toutes les inégalités, soit de naissance, soit de titres ou d’honneur. On devait, d’après lui, enter sur ce vieux rameau les futures institutions libérales. Défenseur de la noblesse, il la plaçait dans la chambre haute et reprenait quelques-unes des vieilles idées de Mounier. Expliquant ensuite les origines de la révolution française, il constatait l’influence de la république américaine sur le développement des sentimens d’égalité et de liberté ; il faisait remarquer (et M. de Tocqueville lui a emprunté cette observation) que par les assemblées des notables, par l’institution des assemblées provinciales, toutes les habitudes avaient été dérangées. Les essais de réforme, incomplets, toujours interrompus, avaient depuis l’avènement de Louis XVI irrité la fièvre publique. La nation n’était plus d’aplomb dans aucune de ses parties ; un