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de ton, derrière le calme apparent de Malouet, il y avait un grand fonds de chaleur et d’énergie. » Les antipathies disparaissaient donc lorsqu’un événement qui fait apprécier le caractère de Montlosier lia ces deux hommes pour jamais. Dans les premiers mois de 1790, les députés de la province d’Auvergne étaient réunis pour fixer la limite des nouveaux départemens. Une contestation s’éleva entre un député du côté gauche, M. Huguet, et Montlosier. Le témoignage de Malouet fut invoqué. « Votre Malouet, dit M. Huguet, n’est qu’un intrigant. » Montlosier relève le mot. De là provocation, menace et duel. Le combat fut long et opiniâtre ; à la fin, Montlosier porta à son adversaire un coup d’épée au bas-ventre, qui le perça de part en part. Il tomba sur le coup. La blessure ne fut pas mortelle.

Malouet n’oublia pas cet acte de courage ; mais il n’était pas homme à donner son amitié sans essayer d’y ajouter le plus grand charme, la communauté des idées. Le terrain était depuis quelque temps préparé. Montlosier ne fréquentait pas la cour ; il déclare même dans ses mémoires que, pendant tout le temps de l’assemblée constituante, il n’a vu ni la famille royale, ni aucun des ministres. Dès le début, le côté droit lui fit pitié ; son esprit vigoureux lui avait montré bien vite l’impuissance de la digue et l’impétuosité du flot. Il constate quelque part l’ivresse qui s’était emparée de tous ceux qui avaient pris une part active à la révolution ; il remarque que toute la jeunesse sortie des écoles, ardente, ambitieuse, sentait qu’elle avait devant elle toutes les places, toutes les fortunes, toute la puissance désormais attachée au mérite et à la constitution d’un grand état. Dans son dernier séjour en Auvergne, il avait déjà pu constater que la population des campagnes, dès le mois de juillet, ne payait plus ni dîmes ni censives, et ne craignait rien tant que le retour des anciens seigneurs. Avec la perspective de la vente des biens du clergé, les capitalistes et les créanciers de l’état avaient reçu des garanties de leurs créances et voulaient les conserver. La bourgeoisie de son côté était heureuse d’avoir à sa disposition les grades dans la garde nationale et de se voir délivrée surtout de la prééminence de la noblesse. Montlosier était frappé de tous ces faits, de ce spectacle d’une société nouvelle n’ayant plus qu’une seule préoccupation, celle de perdre les biens qu’elle venait d’acquérir. Il faut le reconnaître, répondait-il un jour à d’Éprémesnil, qui pensait que tout cela finirait par un bon arrêt du parlement, « le grand obstacle au retour de ce qui était jadis n’est pas dans les opinions, il est dans les intérêts. » Un exemple lui avait complètement dessillé les yeux : à l’une des séances du soir, le 18 juin 1790, à la suite de la motion de Lameth, relative à la suppression du monument de la place des Victoires, un député du midi, Lambel, avait