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mois, il y avait donc un grand déplacement dans toutes les espérances. Simple spectateur, il avait quitté Versailles le 14 juillet, et, en y retournant comme député, il ne reconnaissait plus les personnages. Ce fut bien autre chose après les journées des 5 et 6 octobre. Dès le lendemain, 100 membres du côté droit s’étaient réunis pour aviser sur la situation. Mounier et Lally étaient d’avis de quitter immédiatement l’assemblée ; Malouet au contraire combattit la retraite. Montlosier, nouveau-venu, adopta la première opinion en y mettant la réserve que cette résolution aurait assez de voix pour entraîner la dissolution de l’assemblée. Mounier et Lally persistèrent dans leur avis sans admettre de réserves ; le lendemain, ils partirent après avoir donné leur démission.

Cet exemple n’ayant pas trouvé d’imitateurs, Montlosier se mêla activement aux travaux législatifs. Les relations qu’il contracta d’abord furent loin de le rendre favorable aux monarchiens. Il vivait familièrement avec le vicomte de Mirabeau, le baron de Menou et Cazalès, et il nous a fait connaître ces trois, personnages par des côtés nouveaux. Le vicomte de Mirabeau, Mirabeau-Tonneau, comme on l’appelait, avait de l’esprit, du courage, mais aucune instruction et encore moins de bon sens. Dans les premiers temps de leur amitié, il emmenait fréquemment Montlosier dîner avec lui au Palais-Royal. Ce fut bientôt un prétexte à attroupemens autour du restaurant ; il fallut en changer. Quelques amis s’étant joints à eux, ils avaient fondé des dîners réguliers sous le titre de Salon français ; le lieu de réunion était dans le voisinage d’un marché. Un jour tout le marché se met en rumeur et vient assaillir la maison ; le vicomte de Mirabeau était au comble de la joie, il faisait déjà des préparatifs d’attaque et de défense, il avait mis ses amis en rang, et on lui obéissait machinalement. « La même chose nous était arrivée, ajoute Montlosier, à une précédente assemblée que nous avions eue aux Capucins. Comme il était question des intérêts du clergé, nous avions principalement de vieux abbés et de vieux évêques. Le peuple étant entré dans le jardin et nous ayant lancé des pierres à travers les vitres, nous nous levâmes de surprise. Le vicomte de Mirabeau aussitôt de suivre la ligne en criant : Alignement, alignement, messieurs ! Voilà le cardinal de La Rochefoucauld et les autres évêques de s’aligner en effet. Je me retenais, mais je ne pouvais m’empêcher d’éclater de rire. Notre lapidation aux Capucins eut peu de suite ; celle qui nous menaçait près du marché pouvait en avoir davantage. Tandis que le vicomte de Mirabeau faisait ses dispositions tacticiennes, je trouvais plus sûr d’envoyer chercher- M. Bailly ; notre retraite me paraissait difficile. M. Bailly vint aussitôt ; il nous conseilla par prudence d’abandonner nos réunions. »