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Clermont-Tonnerre en fit le dépouillement et le soumit à l’assemblée nationale ; tous les problèmes à débattre furent par lui posés. Jamais constitution ne fut plus discutée, par pièces et par morceaux, que celle de 1791. Chaque jour amenait des motions, des interruptions, des incidens ; ajoutez-y le goût des généralités, défaut naturel à notre race, et vous vous expliquerez les lenteurs de l’élaboration. Il fallait pourtant aborder les questions délicates ; c’est alors qu’on put s’apercevoir de quel pas hardi avait marché la révolution depuis trois mois. Necker, qui revenait de son court exil de juillet, raconte que sur sa route il fut frappé des changemens que peu de jours avaient opérés dans les esprits et des rapides progrès de l’exaltation. La majorité du comité de constitution ne songeait plus aux institutions anglaises ; la démocratie était entrée dans la place de manière à ne pouvoir plus en être chassée.

Plusieurs systèmes furent débattus par les commissaires. Tous se ressemblaient sur un point, c’est qu’il ne s’agissait plus de représenter spécialement les deux premiers ordres, de créer pour les privilégiés une sorte de chambre des seigneurs, dont on ferait partie par droit de naissance ou en vertu de son titre. La majorité du comité, quelles que fussent les divergences dans les détails, ne s’inspirait que de ce principe, la division du pouvoir législatif, afin de mieux assurer la maturité des délibérations, afin de ne pas créer des conflits entre le pouvoir royal et une assemblée unique, puissante, nombreuse, par cela même passionnée. Tous ceux aussi qui étaient partisans des deux chambres reconnaissaient la nécessité de l’élection pour la première comme pour la seconde chambre. Le Chapelier représentait dans ce comité le groupe des Constitutionnels. Dans les premières semaines de la révolution, ils eussent voté la dualité du corps législatif. Lafayette, qui avait vu les États-Unis, dans une première ferveur de démocratie, commettre l’erreur de l’unité de chambre, l’avouer ensuite et la réparer, resta fidèle (ses mémoires en font foi) au principe de la division de la représentation nationale. Des motifs spécieux et tirés des circonstances devaient, au moment du vote, déterminer la majeure partie des constitutionnels à regarder comme vraie la théorie de Rabaut Saint-Étienne : la nation est une, en conséquence sa représentation doit être une. On sait la teneur du projet de constitution : le gouvernement était monarchique, il se composait des représentans, d’un sénat et du roi, la chambre des représentans était élue par les citoyens, il n’y avait plus de séparation des ordres, le sénat se composait de Français de toutes les classes, l’âge de trente-cinq ans et une propriété d’une valeur déterminée donnaient l’éligibilité à cette magistrature, dont les membres étaient nommés à vie. La première nomination devait être faite par les assemblées provinciales ou par les députés, avec la