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l’économie et l’ardeur au travail la fraction de son capital qu’il aurait dû abandonner pour la rançon du pays. Spécieuse, il est vrai, cette théorie ne tenait aucun compte des faits économiques et financiers les plus importans. Une contribution de guerre extraordinaire, montant à 5 milliards ou même à 3 milliards, n’eût pu être levée sans les plus grandes injustices dans la répartition, les retards les plus prolongés dans les paiemens, la perturbation la plus profonde dans la production. C’était oublier que rien n’est si malaisé à connaître et à atteindre que le capital de la nation ou des particuliers, qu’en outre toute richesse n’est pas mobilisable, qu’un paysan ne peut tirer de son champ de terre, ni un industriel de son usine une somme ronde, représentant une fraction notable de la valeur de ce champ ou de cette usine, pour être remise dans les mains du fisc. Un mot de Laffitte a son application en pareil cas. « L’impôt, écrivait-il, prend les capitaux où ils ne sont pas, il les prend dans les bourgs, dans les campagnes souvent les plus incultes et les plus pauvres ; l’emprunt les prend où ils sont, dans les grandes villes et dans les capitales. L’impôt les prend où ils coûtent 10, 12 et quelquefois 15 pour 100, — l’emprunt là où ils coûtent 4 ou 5 et où ils s’offrent d’eux-mêmes. » Certainement cette doctrine serait mauvaise, si l’on en voulait conclure que l’emprunt doit, dans tous les cas de nécessité nationale, être préféré à l’impôt ; mais les paroles de Jacques Laffitte s’appliquent avec une remarquable justesse au projet de contribution extraordinaire sur le capital du pays pour payer la totalité ou les trois cinquièmes de l’indemnité de guerre. On eût jeté des centaines de mille particuliers dans des emprunts usuraires, on eût provoqué une crise universelle et intense, alors qu’on avait sous la main un moyen très simple et souvent expérimenté de procurer au pays les fonds qu’il réclamait. Les auteurs de cette proposition oubliaient d’ailleurs qu’il y avait dans le cas de la France une difficulté spéciale : il s’agissait de transférer à l’étranger sans grand trouble une somme de 5 milliards, c’était là un problème dont « la solution n’est devenue probable que par sa réalisation. » Nous empruntons cette expression spirituelle à un récent rapport de M. Léon Say sur les opérations de change qu’a nécessitées le paiement de l’indemnité de guerre. De grands emprunts publics pouvaient donner au gouvernement le moyen de se procurer beaucoup de papier étranger : les capitalistes du dehors ne demandaient pas mieux que de nous faire l’avance d’une partie de notre indemnité de guerre en souscrivant à notre emprunt. On se fût privé de cet avantage en recourant à une contribution extraordinaire sur le capital des particuliers.

Ce projet ne pouvait donc être adopté. Il y avait plus de difficulté et il pouvait se produire plus d’hésitation sur le mode d’émission