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de se faire concurrence les unes aux autres, agissent en alliées et de concert pour que l’emprunt soit émis au plus bas prix possible ; c’est d’ailleurs une folie que de prétendre se passer de l’intermédiaire des banquiers : si on les bannit ostensiblement, ils ne viennent pas moins à la dérobée souscrire la presque totalité de l’emprunt et le revendre par parcelles à de plus hauts cours au public des rentiers. C’est là l’explication des souscriptions colossales que nous avons vues pour tous les emprunts qui se sont faits par cette méthode : une spéculation habile enfle ses demandes outre mesure afin d’enlever tout l’emprunt aux rentiers sérieux et de le leur revendre plus tard avec profit.

Ces moyens même ne déplaisaient pas au gouvernement ; ils jetaient sur lui une sorte de lustre éblouissant. On aimait à faire de chaque emprunt une sorte de manifestation nationale et même dynastique : c’était une expression à la mode dans les écrits et dans les discours que celle de suffrage universel des capitaux. En réalité, ces souscriptions énormes se seraient produites à toute époque par le même procédé, qui consistait à déclarer irréductibles les demandes de faibles quantités de rentes, à multiplier le nombre des versemens, de façon que le premier fût très faible. Nous avons vu que sous la restauration, en 1818, à une époque où la France était épuisée et où le crédit international n’existait guère, un emprunt de 292 millions en capital, mis en souscription publique, avait été souscrit plus de onze fois, les demandes ayant monté à 3 milliards 260 millions. Ce précédent était oublié, et à cette heure il est encore peu connu. Le premier emprunt de l’empire, celui de 250 millions en 1854, n’eut pas ce succès vertigineux, il ne fut pas deux fois couvert, les demandes n’ayant monté qu’à 468 millions ; mais bientôt les capitalistes et les rentiers se ravisèrent : ils virent quel intérêt il y avait à se procurer de la rente de première main. L’emprunt de 500 millions, émis quelques mois après, fut couvert plus de quatre fois, les demandes s’élevant à 2 milliards 198 millions. Celui de 750 millions en 1855 réussit encore mieux, les demandes atteignirent 3 milliards 652 millions ; il y eut un chiffre de 2 milliards 510 millions pour l’emprunt de 520 millions contracté à la veille de la guerre d’Italie. C’est surtout pour les deux emprunts des périodes de paix, ceux de 1864 et de 1868, que les résultats furent éblouissans. On demandait au public, dans la première de ces opérations, un capital de 315 millions, il offrit près de 5 milliards ; l’emprunt était ainsi plus de quinze fois couvert. Le succès de l’emprunt de 1868 fut encore plus prodigieux : le public souscrivit pour une somme de 15 milliards 364 millions à un emprunt dont l’importance nominale en capital était seulement de 450 millions : il était donc couvert trente-quatre fois. Ces merveilles sont