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l’Angleterre a payé les 1,750 millions de francs qu’a exigés d’elle la guerre de Crimée ? L’emprunt n’a fourni que 1 milliard, et les surélévations d’impôts ont donné 750 millions. En France, les impôts furent à peine légèrement accrus, soit pour la guerre de Crimée, soit pour la guerre d’Italie. Tandis que les Anglais doublaient l’impôt sur le revenu, la taxe sur la bière, etc., nous relevions de 93 millions seulement en 1855 les impôts indirects : aussi l’emprunt fournit 1,537 millions de francs, et les aggravations de taxes 150 millions environ.

Un autre trait caractéristique de la gestion financière de ce temps, c’est que tous les emprunts furent émis dans le fonds 3 pour 100, qui était fort au-dessous du pair, à part une très faible fraction des emprunts antérieurs à 1860, qui fut placée en 4 1/2. Nous avons vu que toute politique prévoyante doit éviter de grossir le capital nominal de la dette publique, alors même qu’en faisant ce sacrifice on allégerait dans une certaine mesure la charge annuelle des intérêts. En créant 130 millions de rentes 3 pour 100 à des cours qui oscillaient entre 60 francs 50 cent, et 69 francs, le gouvernement d’alors indiquait assez qu’il ne s’inquiétait guère de l’éventualité du remboursement de la dette. Il est vrai que le public le poussait ou tout au moins le soutenait dans cette voie. Toutes les fois qu’on lui donnait le choix entre des rentes 4 1/2 pour 100 et des rentes 3 pour 100, dût-il payer les dernières relativement un peu plus cher, il préférait le 3 pour 100, aimant mieux un revenu légèrement inférieur avec la perspective d’une plus-value presque illimitée. C’est ce que l’on a vu pour l’emprunt de 1854, les deux emprunts de 1855 et celui de 1859. Dans les trois premiers, le choix ayant été laissé aux souscripteurs entre le 4 1/2 à 92 et le 3 à 65, la quantité de rentes 4 1/2 demandées fut infiniment plus faible que : celle des rentes 3 pour 100.

Tous ces emprunts furent émis par le mode de la souscription publique, c’est-à-dire par l’appel direct du trésor à tous les capitaux, grands, moyens ou petits, l’intermédiaire des grandes maisons de banque était ainsi évité. On aimait à dire que cette méthode était plus avantageuse tant à l’état qu’aux particuliers, que ceux-ci et celui-là se partageaient le bénéfice dont profitaient jadis les banquiers sous le système de l’adjudication ; on soutenait que les rentes arrivaient ainsi plus vite dans les mains des souscripteurs sérieux qui voulaient faire un placement définitif. L’expérience a montré que l’on se trompait. Sous le régime de l’adjudication, tous les grands capitalistes d’Europe se constituent en groupes qui se font concurrence et dont chacun s’efforce d’obtenir la concession de l’emprunt en faisant les conditions les meilleures ; sous le régime de la souscription nationale, les grandes maisons de banque, au lieu