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ceux-là par milliers sur les deux rives du fleuve. Le Dnieper n’a pas le pittoresque du Rhin, ni ses hautes roches de grès rouge, ni ses forêts de pins, ni ses châteaux romantiques. Ses rives sablonneuses, ses îles plates, ses grandes grèves où voltigent les mouettes et les corbeaux, répètent trop souvent les mêmes aspects. C’est un peu mou de dessin, terne de couleur. De fréquentes stations pendant cette navigation de deux jours corrigeaient la monotonie du paysage. On débarqua auprès de Vititchef, une ancienne ville slave, au pied de laquelle s’est formé le village de Vitatchevo. Ce gorodichtché est situé dans un angle formé par le Dnieper et par un profond ravin. Des remparts de terre, de profonds fossés encore visibles, complètent l’enceinte. La ville était inabordable du côté du fleuve : la berge a peut-être 400 pieds de haut. La surface du gorodichtché est recouverte d’un gazon rude et desséché : dans une déchirure du sol, on retrouve quelques objets antiques. Sans pousser plus loin ces fouilles sommaires, nous nous rembarquons pour Monastyrok, d’où nous gagnons Traktomirof. On avait le projet de retrouver l’entrée d’anciennes catacombes, sur lesquelles s’élevait un couvent aujourd’hui disparu. Il est nuit, et c’est à la lueur d’une lanterne que des paysans attaquent vigoureusement le flanc sablonneux de la colline ; mais ce sol mouvant change souvent de relief : impossible de retrouver cette entrée. Les gens du pays racontent qu’ils ont pénétré dans cette catacombe, qui a plusieurs centaines de pieds de longueur, mais qu’ils n’ont pas osé aller jusqu’au bout. À droite et à gauche, ils ont vu des espèces de niches ou de couchettes où dormirent les anachorètes. Nous sommes forcés de nous contenter de ces récits, et nous remontons le fleuve. Le lendemain, on repasse en vue de Kief, et l’on continue jusqu’à Vychegorod, si célèbre dans l’histoire russe. Smolensk, Vychegorod, Kief, Vititchef, telles étaient, au dire de l’empereur Constantin Por-phyrogénète, les escales où abordaient le long du Dnieper les flottilles varègues qui allaient commercer en Grèce, ou qui sous les Igor et les Oleg marchaient à l’attaque de Constantinople. Vychegorod devrait son existence à un frère du fabuleux Kii, fondateur de Kief. Là fut, suivant une tradition, la résidence favorite de sainte Olga ; là saint Vladimir, avant sa conversion, aurait eu un harem de 300 femmes ; là furent ensevelis les deux fils du prince-apôtre, Boris et Glèbe, assassinés par leur frère. L’église a fait d’eux les Dioscures de l’orthodoxie, deux bienheureux, inséparables comme Castor et Pollux ; nous arrivons au gorodichtché : on ouvre une tranchée et l’on exhume de ces grandes briques du Xe siècle qui ont pu entrer dans les assises du palais d’Olga. Le temple voisin est dédié aux deux frères ; il est moderne, l’ancienne église de Jaroslaf ayant