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du professeur Antonovitch, la grosse besogne de terrassier était déjà faite, et l’on avait dégagé la couche où devaient se trouver les débris antiques. Le premier de ces tumuli, situé au milieu d’une forêt, s’appelle dans le pays la Tombe du Loup. Une douzaine de gaillards en chemise planche, en bonnet de peau de mouton, les moustaches pendantes, le pantalon cosaque, « large comme la Mer-Noire, » avec des pelles de bois garnies de fer, rejetaient la terre en dehors du kourgane, qui maintenant ressemblait à une soupière ouverte. Sur le rebord, appuyées aux arbres, des femmes à jambes nues, aux yeux noirs, avec leur chemisette brodée de rouge et de bleu, leur tablier d’indienne à fleurs, regardaient et ne sourcillaient pas quand par manière de plaisanterie les travailleurs, avec leurs pelles archaïques, leur envoyaient des volées de terre noire. Les invités descendent à leur tour dans le kourgane et se mettent en devoir de dégager les objets qu’on y a trouvés. Il y avait là un squelette d’homme, un squelette de jeune femme, et tout autour des débris appartenant au moins à cinq ou six individus, dont un enfant. L’homme paraissait le personnage principal, en l’honneur duquel les autres avaient dû être égorgés. A sa gauche, un vase de terre cuite qui s’était brisé sous le poids de la terre et des siècles accumulés ; à sa droite, un autre vase plus petit, puis un marteau et un ciseau de pierre. On rassembla précieusement ces débris, et auprès l’on plaça des gardiens avec de grands bâtons, surveillés eux-mêmes par le staroste du village et le starchine du volost, reconnaissables à leur médaille et à leur chaîne de bronze. Cela n’empêchait pas les paysannes de stationner et de regarder d’un air pensif ces restes humains. Autant que je pus le démêler dans leur langage petit-russien, elles s’inquiétaient de savoir si les commères de ce temps-là étaient plus grandes que celles d’aujourd’hui et si l’on trouve de l’or dans les kourganes. Certaines haussaient les épaules et trouvaient que les messieurs avaient bien du loisir à perdre. Pendant ce temps, on déblayait d’autres tumuli : dans l’un d’eux, on trouva une plaque de bronze, et même des fragmens de fer mêlés à des poteries et à des armes de pierre. On voit combien il est difficile de distinguer entre les kourganes appartenant à différens âges préhistoriques.

La semaine suivante, la compagnie de navigation mit gracieusement à la disposition du congrès un petit bateau à vapeur, la Viéra (la Foi), et nous voilà à descendre le Dnieper. Les eaux étaient basses, et l’on avançait prudemment, crainte de donner dans un banc de sable. Une carte préparée spécialement par M. Antonovitch nous permettait de nous orienter au milieu de ce labyrinthe d’îles et de distinguer les tumuli et les gorodichtché qui se profilaient sur les hautes berges : ils se comptent ceux-ci par douzaines,