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de ses branches. Kief de ce côté n’a pas de banlieue ; peut-être le Dnieper ne le permettrait pas : il entend conserver le droit pour les jours de grande inondation d’aller, sur une largeur de plusieurs kilomètres, battre de ses flots les berges lointaines.

La vieille ville de Kief est réellement la ville historique, la cité par excellence, comme celles de Paris et de Londres. Là où s’élève Saint-André, on raconte que le premier apôtre, bien avant qu’il n’y eût une Russie, mit le pied sur la terre slave et déclara que « sur cette montagne éclaterait la gloire de Dieu et brillerait une grande capitale où le Seigneur aurait de nombreux autels. » L’église moderne de la Déciatine, avec ses inscriptions helléniques, se dresse sur l’emplacement de la Déciatine, bâtie par Vladimir en l’honneur des deux martyrs kiéviens mis à mort par ses ordres et qui avaient là leur demeure. L’église des Trois-Pontifes ou de Saint-Basile avait été construite par ce prince, qui prit à son baptême le nom de Basile : avant sa conversion, c’est là qu’il avait érigé la statue de Péroun, le dieu du tonnerre, en bois avec une tête d’argent et une barbe d’or. Près de là était la brèche ou le ravin, aujourd’hui comblé, de Boritchof, qu’on appela longtemps la Dégringolade du diable : c’est par ce ravin que Vladimir désabusé fit jeter l’idole dans le Dnieper. Comme elle était de bois, elle flotta longtemps sur le fleuve sacré des anciens Slaves et fut portée par les ondes jusqu’au lieu appelé Vydoubitski, où le peuple la recueillit et se mit à l’adorer ; mais Vladimir l’y fit détruire et bâtit en ce lieu un monastère commémoratif. De Voloss, le dieu des troupeaux, le Pan des Slaves, tout souvenir ne s’est pas perdu. Dans les prairies du Podol, où les Kiéviens menaient leur bétail, il avait son sanctuaire ; plus tard, saint Vlasius (Blaise), son homonyme chrétien, qui partout lui a succédé comme protecteur des troupeaux, eut dans le même quartier son église. Une rue du Podol s’est longtemps appelée la Poussée du bétail. A l’extrémité de la plus belle rue de Kief se trouve une petite chapelle avec une source d’eau vive. Une tradition prétend qu’à cette source, miraculeusement jaillie du sol à la voix d’un saint homme, auraient été baptisés les douze fils de Vladimir ; mais on a voulu surtout y consacrer le souvenir de la conversion en masse de la population kiévienne, lorsqu’à la voix de son prince elle se précipita tout entière dans les ondes régénératrices du fleuve. Une peinture de la chapelle essaie de représenter cette scène mémorable ; les épaules et les seins nus des nouvelles chrétiennes ne sont voilés que de leurs longues tresses blondes. A Kief, on peut montrer encore le quartier de la Lebed, où vivait la belle Rognéda que Vladimir épousa après avoir exterminé toute sa famille ; la slobode de Bérestof, où il entretenait 200 concubines sur les 500 que