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les conservateurs. Et puisqu’on veut, avec toute raison, un sénat qui soit la chambre conservatrice, nous ne sommes pas suffisamment rassurés par la correction que propose le projet de loi à l’origine démocratique de cette seconde chambre. L’expérience ne nous apprend-elle point chaque jour que ce n’est pas dans des conditions d’éligibilité, si sages et si rigoureuses qu’elles soient, que le législateur peut trouver de sûres garanties pour les intérêts qu’il veut sauvegarder ? Que le suffrage universel n’ait pas le tact nécessaire pour discerner les meilleurs entre les bons parmi tous ces candidats d’élite, nous n’en serions pas trop inquiets. S’il fonctionnait comme ces machines qui travaillent sans savoir ce qu’elles font et donnent pourtant d’excellens produits, grâce aux bons élémens de leur travail, nous sommes bien sûrs qu’avec les catégories énumérées par le projet en question il ne sortirait de l’urne populaire que de très sages sénateurs ; mais, si le peuple élit, ce sont les partis qui lui désignent les candidats. Or là est précisément le danger. Les partis extrêmes, à un moment donné, sauront toujours trouver, dans les catégories les plus favorables en masse à la politique de conservation, des candidats dévoués à la politique de révolution ou de folle utopie, si le vent souffle de ce côté dans les régions populaires du suffrage universel. N’y eût-il que des riches à millions dans les catégories qui représentent la propriété, n’y eût-il que des savans et des lettrés de premier ordre dans les catégories qui représentent la science et la littérature, n’y eût-il que des magistrats et des avocats d’élite dans les catégories qui représentent la magistrature et le barreau, n’y eût-il que des industriels importans, des ingénieurs éminens dans les catégories qui représentent l’industrie, les partis sauront bien y découvrir un esprit faux, un ambitieux, un vaniteux tout prêt à servir les desseins des partis révolutionnaires pour donner carrière à ses ambitions ou à ses rêves. La classe n’y fait rien ; les Catilinas sont de tous les temps. C’est dans les conditions de l’électorat seulement qu’on peut trouver de sérieuses garanties pour la sagesse des choix à faire. Voilà pourquoi nous n’avons qu’une médiocre confiance dans le système des catégories appliquées au suffrage universel.

Parmi les combinaisons du système électif qui se recommandent par une grande simplicité dans la pratique comme dans la théorie, deux méritent particulièrement l’attention de nos lecteurs. C’est d’abord le système proposé et soutenu par M. de Ventavon avec un esprit et un talent qui avaient d’abord conquis l’adhésion de la majorité au sein de la commission. Il s’agissait de former un grand corps électoral seulement avec des élus du suffrage universel, conseillers-généraux, conseillers d’arrondissement, conseillers