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proportion dans laquelle se trouveront les membres nommés par rapport aux membres élus. Il nous semble que les partisans de ce système, plus nombreux dans l’assemblée que dans le pays, obéissent en cela à une tradition monarchique qu’il serait bien difficile de conserver, même avec une véritable monarchie constitutionnelle. Nous ne savons si le gouvernement de juillet a bien fait de réclamer la nomination des pairs par le chef de l’état après la suppression de l’hérédité. Si une monarchie de ce genre devait un jour être rétablie en France, nous pensons que le prince aurait mieux à faire que de reprendre sur ce point la tradition de la monarchie de juillet. Une pareille institution, ne pouvant avoir le prestige d’une longue tradition de glorieux ou loyaux services, n’a plus d’autre raison d’être que son utilité. Or, pour être utile, il lui faut une autorité qu’elle ne peut trouver que dans une indépendance absolue-mais cette indépendance absolue est-elle compatible avec la nomination royale ? Cela ne peut se soutenir. Nous savons bien que l’indépendance tient au caractère des hommes ; nous n’ignorons pas que l’esprit de corps naturel aux grandes assemblées et toujours puissant, quelle que soit leur origine, en est une garantie dans une certaine mesure ; mais cette indépendance ne sera jamais entière dans de telles conditions, et plus les dissentimens seront graves entre les pouvoirs constitutionnels, plus l’ascendant du pouvoir qui nomme pèsera sur les décisions du pouvoir, nommé. En tout cas, si le doute est permis sur ce point, quand il s’agit de la prérogative du chef d’un état monarchique, il ne l’est plus, pour nous du moins, s’il s’agit de la transférer à un simple président de république. C’est lui donner le pouvoir d’un roi quand il n’en a pas le prestige, et, si vous lui conférez en même temps le droit de dissolution qu’il est bien difficile de refuser au pouvoir exécutif, vous mettez nécessairement la chambre des représentans en minorité et la démocratie en tutelle par cette coalition possible et même probable de deux pouvoirs contre un ; vous créez une sorte de fausse dictature qui rouvre la voie aux coups d’état et aux révolutions. Que la sagesse du législateur avise au moyen de modérer le mouvement d’une démocratie qui ne trouve pas de tempérament dans le suffrage universel, rien de mieux. Nous aussi, nous voulons un pouvoir essentiellement conservateur ; mais nous le voulons également modérateur, résistant aussi bien aux empiétemens du pouvoir exécutif qu’aux entraînemens de la chambre démocratique. Or comment pourra-t-il jouer ce rôle, s’il n’est absolument indépendant ? Et comment le sera-t-il, s’il relève quant à son origine du pouvoir exécutif ? On aura beau vouloir lui donner de la force et de l’autorité en exagérant ses attributions, on n’arrivera point au but qu’on se