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pratique, quelle que soit sa couleur. Et comme le parti républicain, dans toutes ses nuances, a la juste prétention de faire de la pratique et non de la pure théorie, nous le conjurons d’entrer tout entier dans la voie où tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis quatre ans ont convié l’assemblée de marcher. L’institution d’une seconde chambre peut être, nous le reconnaissons, un obstacle à l’essor légitime de la démocratie, si cette chambre est mal faite et dans un fâcheux dessein. Que si elle est faite au contraire dans un esprit aussi libéral que conservateur, elle en sera le salut, parce qu’elle en sera le frein. Que nos amis y regardent de très près. Qu’ils ne veuillent pas entendre parler d’un expédient ; qu’ils refusent surtout de s’associer à une œuvre qui n’aurait d’autre but visible ou caché que de paralyser les forces vives de la démocratie, c’est leur droit et leur devoir, surtout à eux qui sont plus particulièrement les représentans de cette démocratie ; mais que, sans parti-pris, sans tenir compte des préjugés populaires et des théories d’école, ils écoutent toutes les raisons pour et contre qui se produiront dans ce grand débat, bien convaincus que les pires ennemis de la démocratie sont les démagogues qui la flattent et les césars qui la trompent : voilà ce que nous attendons de leur loyale et sincère politique.


II

Seconde question : est-il possible de trouver dans notre pays les élémens d’une seconde chambre ? Non, répondront imperturbablement certains démocrates. L’Angleterre a ses lords et ses baronnets, l’aristocratie de la richesse complétant l’aristocratie de la naissance, qui la reçoit, qui l’appelle dans son sein. La Prusse a sa noblesse d’épée qui la sert si bravement dans l’armée, si fidèlement dans l’administration. L’Italie elle-même et l’Espagne, celle-ci surtout, ont leur vieille race de ducs, de comtes et de marquis. Les États-Unis ont leurs chambres d’états, où ils recrutent leur sénat d’une façon si heureuse. Trouve-t-on rien de pareil en France ? D’où fera-t-on sortir cette merveilleuse institution que les partis conservateurs invoquent avec tant de ferveur ? Attend-on qu’elle tombe du ciel ? — Non, elle ne tombera pas du ciel ; elle sortira le plus naturellement du monde des entrailles mêmes de notre société française, et voici comment. Le suffrage universel est le droit dans notre état politique actuel, nul ne songe à le contester ; mais l’exercice de ce droit ne fait pas qu’il puisse être autre chose que l’expression du nombre. Le nombre peut sans doute, avec le temps et les progrès de notre éducation politique, devenir l’expression de la raison