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point satisfaction. Nous étonnerons peut-être nos amis en leur disant que c’est surtout depuis que nous voyons la démocratie au pouvoir que la nécessité d’une seconde chambre nous paraît de plus en plus évidente. Jusqu’aux derniers et douloureux événemens dont nous avons été les témoins désespérés, notre histoire politique ne nous fournissait pas d’argumens bien concluans. La seconde chambre, héréditaire ou composée de membres nommés à vie, était-elle un aide ou un embarras pour le gouvernement constitutionnel du pays ? Il était permis de conserver à cet égard quelques doutes, et avec une chambre des députés élus par un corps d’électeurs censitaires on pouvait être moins frappé de la nécessité d’une autre assemblée qui aurait pour mission de modérer les entraînemens d’une démocratie assez restreinte pour être rassurante. Quant au sénat de l’empire, nous n’avons jamais bien compris que le triste césar qui l’a rétabli en eût plus besoin que son fatal et glorieux oncle. C’était, pour l’un comme pour l’autre, une institution de luxe où les amis dévoués trouvaient leur pension de retraite ; ce n’était pas un véritable instrument de gouvernement. D’autre part, les exemples étrangers n’étaient pas de nature à décider notre conviction. On voit bien en effet que la seconde chambre est un rouage nécessaire dans le gouvernement monarchique de l’Angleterre et de la Prusse, dans le gouvernement républicain des États-Unis ; mais la France ne ressemble nullement à ces divers pays : elle n’a pas une aristocratie comme ses voisines ; elle n’est pas une fédération d’états, comme la puissante nation américaine. Quant aux autres nations, comme la Belgique, l’Italie et l’Espagne, l’utilité de ces assemblées n’a pas encore été démontrée par d’éclatans ou constans services. Il n’est pas prouvé qu’une seule chambre élue par un corps de censitaires ne suffirait pas au bon sens des Belges ou à l’esprit politique des Italiens. Pour l’Espagne, ce noble et malheureux peuple en est encore à montrer que toute espèce d’institution parlementaire est compatible avec la paix intérieure du pays.

Ce n’est pas en promenant nos regards autour de nous que nous avons fini par nous faire une opinion très arrêtée sur ce sujet ; c’est en les concentrant au contraire dans l’observation et l’analyse même de notre société française. On croit fermer la bouche aux partisans d’une seconde chambre en leur disant que la France est un pays essentiellement démocratique ; pour nous, c’est le plus fort argument qu’on puisse invoquer en faveur de cette institution. Qu’une seconde chambre soit du goût de la démocratie française, ce n’est pas bien sûr ; ce que nous croyons fermement, c’est qu’elle en a plus besoin que toute autre, surtout depuis l’établissement du suffrage universel. Avec une chambre des députés élue par un