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sérieux les prérogatives que lui confère la constitution, se retranche dans son droit et résiste aux prétentions du pouvoir législatif, n’est-ce pas la lutte entre les deux pouvoirs, et peut-être la guerre civile entre les partis ? On comprend donc facilement les efforts faits de tant de côtés pour arriver à une constitution de la seconde chambre qui puisse rallier une majorité. Les projets de loi dus soit à l’initiative du gouvernement, soit à l’initiative parlementaire, sont nombreux, et parmi ces projets un certain nombre mérite une sérieuse attention. Il ne s’agit pas de discuter en détail tous ces projets, même ceux qui émanent du gouvernement et de la commission ; nous voudrions seulement en montrer le caractère et la portée, faire voir quels sont ceux où l’on trouve l’autorité d’une véritable institution et ceux qui n’ont que la vertu tout empirique et l’utilité contestable d’un expédient. Il faudrait enfin, si l’on tient à doter le pays d’une véritable institution, conservatrice et libérale tout à la fois, chercher comment il serait possible de la faire accepter des esprits sensés et pratiques de tous les partis.


I

Première question : faut-il une seconde chambre ? Pour la plupart des publicistes de l’école anglaise ou de l’école américaine, c’est à peine s’il est besoin de poser le problème. La nécessité d’une seconde chambre en tout pays, en tout temps, pour toute espèce de gouvernement, est un axiome politique tellement fondé sur la raison et confirmé par l’expérience qu’il n’y a pas lieu de le démontrer. Néanmoins, tant qu’on n’a pu invoquer à l’appui de cette thèse que des considérations générales ou des expériences étrangères, notre conviction à cet égard n’a pas été entière. Dans un livre oublié qui nous a valu, sous l’empire, les honneurs de l’amende et même de la prison, nous avons proposé de remplacer par un grand-conseil d’état, qu’élirait l’assemblée unique et souveraine, cette seconde chambre que nous inclinions à regarder comme un rouage inutile en pensant aux chambres des pairs de la restauration et du gouvernement de juillet. L’expérience de ces dernières années, le sentiment profond des nécessités de la situation, surtout la considération des besoins d’une société démocratique, ont changé notre opinion sur ce point. Nous en faisons volontiers l’aveu, nous sommes de ceux qui voient dans la politique un art et non une science, qui, sauf quelques principes absolus que la politique emprunte à la morale, en comprennent les vérités non comme des dogmes, mais comme des réalités qui ne se discutent guère, et des nécessités dont il faut tenir compte, alors même que la logique n’y trouve