Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 6.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous ceux qui connaissent les Grecs et qui rendent justice à leurs rares qualités, leur ont demandé de s’occuper de questions de faits plutôt que de systèmes et d’hypothèses ; nous ne saurions trop leur répéter quels beaux sujets de recherches leur offrent leur pays et leur histoire. Ces sujets doivent être traités par eux ; la Grèce et l’Europe y gagneraient également. L’habitude des enquêtes positives donnerait à l’hellénisme une maturité qui lui manque, corrigerait les défauts trop naturels à ces amateurs de discours ; elle leur montrerait ce qu’est la réalité ; elle leur ferait connaître leur pays qu’ils ignorent, leur passé dont ils ne considèrent que les côtés héroïques. Nous n’avons pas pour la Grèce de bonnes études sur l’agriculture, le commerce, la vie des campagnes : c’est aux Grecs de nous les donner ; ils y trouveront les plus surs moyens de tirer de leur sol toutes les richesses qu’il peut produire. La langue grecque moderne, jusqu’à ces dernières années, n’avait fait chez les Hellènes l’objet d’aucun travail sérieux. M. Mavrophidis, le premier, a publié un essai historique sur ce sujet, ouvrage qui n’intéresse pas moins la philologie générale que l’hellénisme, mais qui doit être repris et complété. Les traditions modernes qui conservent des restes si nombreux du passé ont un grand prix pour nous depuis que l’école de M. Max Müller a montré la philosophie de ces études. L’étranger est mal préparé à ces recherches ; pour les Grecs, elles sont faciles ; cependant nous ne voyons pas qu’ils s’y appliquent. Les chants populaires ont presque tous été recueillis par des voyageurs qui dans cette tâche étaient exposés à toute sorte d’incertitudes et même de contre-sens. Le droit byzantin et les rites de l’église orthodoxe sont mieux connus des savans occidentaux que des Hellènes ; les Grecs seuls pourraient, en de pareils sujets, arriver à la perfection.

On oublie souvent à quel point le grec moderne ressemble à la langue ancienne. L’idiome parlé aujourd’hui n’est qu’une altération des formes classiques. Tout Hellène qui en a la volonté comprend en quelques mois Xénophon, Hérodote, et en général les prosateurs. Pour les poètes, il faut plus d’études ; mais ce travail est incomparablement moins long que celui qui est imposé dans le même dessein au Français ou à l’Allemand qui possède les plus heureuses facultés philologiques. Il est beaucoup de jeunes Athéniennes qui lisent sans peine Homère ou Sophocle. L’obstacle de la langue, si sérieux dans tous les travaux relatifs à la Grèce ancienne, n’existe pas pour les Hellènes. Ce sont là des conditions privilégiées dont nous demandons qu’ils fassent leur profit. Qu’ils ne se plaignent pas de ce qui leur manque ; qu’ils tirent tout le parti possible des avantages que leur ont assurés les circonstances ; ils y gagneront par l’estime et la reconnaissance que l’Europe leur devra ; peut-être ne sauraient-ils rien faire qui serve mieux les intérêts de leur patriotisme, les projets de leur politique.

Depuis longtemps les Grecs auraient dû publier les manuscrits