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de mieux à faire, ce serait de n’avoir pas toujours l’air d’accuser les autres de ses mésaventures, de montrer qu’elle peut se suffire à elle-même pour la répression d’une insurrection dont nos provinces méridionales souffrent après tout comme les provinces espagnoles. Malheureusement il n’est pas aussi facile, à ce qu’il paraît, d’aller chercher les carlistes dans les montagnes de la Navarre ou du Guipuzcoa que de porter des plaintes à Paris on à Londres, et rien ne le prouve mieux à coup sûr que la récente expédition de F armée espagnole autour d’Irun, à la vue de nos populations et de nos soldats accourus sur la frontière.

Que s’est-il passé aux bords de la Bidassoa ? Quelle est le secret de cette singulière campagne ? Ce n’est point vraiment bien aisé à démêler. Toujours est-il qu’il s’agissait de délivrer la malheureuse petite ville d’Irun, serrée de près, impitoyablement bombardée par les carlistes, qui décidément ne sont pas heureux dans les sièges, pas plus à Irun qu’à Bilbao ou à Puycerda. Pendant que les carlistes en étaient à bombarder la pauvre petite ville, qui faisait bonne contenance, le commandant en chef de l’armée espagnole, le général Laserna, qui était en ce moment sur l’Èbre, menaçant toujours la Navarre, a fait un mouvement sur Santander. Il a embarqué 15,000 ou 18,000 hommes, qui sont allés toucher terre à Saint-Sébastien. Ces troupes, vivement conduites par le général Loma et par le général Laserna lui-même, se sont portées contre les carlistes ; elles les ont culbutés, mis en déroute, et elles ont délivré Irun. En dépit de quelques excès commis par des détachemens isolés, le succès était complet. Les carlistes, battus et démoralisés, étaient obligés de se replier dans les montagnes, et même ils avaient été un instant sur le point d’être coupés. Dans tous les cas, ils se sentaient désormais très menacés, d’autant plus qu’ils avaient à faire face tout à la fois sur l’Èbre et sur les Pyrénées. C’était leur crainte. On pouvait croire en effet que l’armée espagnole, transportée dans le Guipuzcoa, n’allait pas se contenter de cette première victoire, qu’elle opérerait sur la frontière. C’est précisément ici au contraire qu’éclate le coup de théâtre le plus imprévu. A peine victorieux à Irun, le général Laserna reçoit subitement de Madrid l’ordre de rembarquer ses troupes et de regagner par Santander les bords de l’Èbre. C’est ce qui a été fait, non sans peine, non sans accidens, par une grosse mer, et pendant ce temps les carlistes, reprenant courage, sont revenus ; ils ont assailli de nouveau les positions autour d’Irun, et ils bataillent tous les jours.

Évidemment ce n’est pas une brillante campagne, et ce n’est pas ainsi qu’on aura de sitôt raison des carlistes. Comment expliquer le brusque rappel d’une armée qui venait de débuter par une victoire ? Voilà le mystère. On est allé jusqu’à dire qu’il y avait quelque motif politique caché, que le général Serrano ne se souciait pas de voir le général Laserna obtenir trop de succès, en finir peut-être avec cette ruineuse guerre civile ; mais ce n’est là vraisemblablement qu’un bruit de