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l’omnipotence d’une dictature forte de l’unité de pensée et de conseil, ni la modeste utilité d’un pouvoir régulier concourant dans sa sphère à la marche commune. Il ne faut pas se faire illusion, c’est de l’anarchie sous une apparence d’ordre matériel. Est-ce que cette situation peut se prolonger sans péril ? Quelle autorité morale peut avoir un gouvernement qui ne sait pas trop ce qu’il est, qui est réduit à réclamer périodiquement une organisation toujours vainement promise ? Que peut répondre l’assemblée elle-même à ceux qui la pressent d’avoir une opinion, de jouer son rôle de puissance souveraine en fixant les conditions de la vie nationale ? De quel côté enfin le pays peut-il se tourner pour trouver une direction, une garantie contre ses propres faiblesses, contre ses propres indécisions ?

Qu’on ait craint pendant quelque temps, pendant les premières années qui ont suivi la guerre, de tout compromettre en précipitant les solutions, qu’on ait eu l’illusion et l’espérance de pouvoir choisir un moment favorable pour fixer avec plus de maturité les destinées publiques, soit encore ; on n’en est plus là évidemment, et à ce jeu redoutable des ajournemens incessans, indéfinis, on risque tout, la sécurité du travail, la paix des esprits, l’ascendant des idées libérales et conservatrices, le crédit même des pouvoirs les plus nécessaires. C’est là justement que commence cette responsabilité sérieuse, immédiate dont nous parlons. L’assemblée est désormais placée dans cette alternative de se décider, de résoudre pratiquement le problème d’une organisation possible, ou de se déclarer définitivement impuissante, d’avouer qu’elle retient depuis quatre ans une souveraineté dont elle ne peut pas se servir et qu’elle ne veut pas abdiquer. Il y a certes là de quoi réfléchir à ce début de session qui est comme une dernière occasion offerte aux hommes sincères de tous les partis disposés à subordonner patriotiquement leurs préférences ou leurs préjugés aux nécessités supérieures de l’intérêt national.

Ce n’est pas seulement, qu’on le remarque bien, un besoin pressant et irrésistible d’organiser, de voter une constitution nouvelle qui peut décider les esprits sérieux. C’est avant tout ce qu’on pourrait appeler une question d’ordre public. C’est un acte d’autorité de la puissance régulière donnant au pays la garantie d’une organisation sensible, incontestée, au gouvernement les moyens d’une action précise et efficace. C’est une manière d’en finir avec une situation où rien n’est à sa place, où les idées les plus simples s’altèrent par degrés, où la confusion est partout, même dans l’administration, et où la politique se glisse jusque dans les élections municipales, sous prétexte que les questions constitutionnelles restent ouvertes, qu’il n’y a ni régime assuré ni institutions. Ce qui résulte de la politique d’incertitude et d’ajournement, on le voit chaque jour. Il est vrai, on a pu jusqu’ici éviter de se prononcer sur une organisation définitive devant laquelle les partis seraient