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sait le prix fabuleux, déraisonnable, et devenu normal, qu’atteignent à l’hôtel Drouot les tableaux même de second ordre. Qu’irait faire avec ses 75,000 francs par an pour toutes les sections, — ce qui fait 15,000 francs pour la peinture, — l’acheteur chargé de représenter l’état sur le champ de bataille des enchères ? Une seule victoire lui enlèverait toutes ses ressources. Alors il reste à son humble poste de gardien attendant que l’occasion, qui a ses caprices, vienne frapper à la porte du Louvre ; mais l’occasion aime qu’on la guette, non que l’on compte sur ses faveurs, et elle ne tend guère la main, en ce temps de calculs vigilans, qu’à ceux dont elle prévoit la réponse.

Lorsque la collection du Louvre appartenait en principe au souverain, la générosité du propriétaire augmentant souvent les mesquines allocations des chambres, l’intendance des Beaux-Arts sentait alors croître son audace et se risquait sans trop d’inquiétude. Il n’en est plus de même avec notre démocratie prudente et économe. Ce n’est pas que nous regrettions une fiction qui avait ses dangers, mais elle avait, il faut bien l’avouer aussi, des avantages qu’on n’a pas remplacés, et l’expérience, sous tous les régimes, nous apprend qu’il ne faut pas compter sur le sens esthétique de nos mandataires politiques. Lorsque, pendant l’empire et depuis la république, les députés ratifièrent les achats sollicités par le gouvernement en émettant un vote favorable, ils n’entendaient pas faire autre chose qu’un acte de déférence politique. Napoléon III obtint les 4 millions, prix de la collection Campana ; mais ce fut à l’empereur qu’on les accorda ; réduite à ses seules forces de persuasion, l’administration eût vainement sollicité une si grosse concession. Ce fut encore, on se le rappelle, pour ne pas sembler faire à M. Thiers une opposition rancunière que l’assemblée nationale consentit à payer le solde de la coupole attribuée à Raphaël. Abandonnés à leur seul enthousiasme pour l’art, les représentans du peuple aussi bien que les députés au corps législatif ont toujours résisté aux plus éloquens appels, comme aux raisons les mieux déduites, lorsqu’il s’agit d’accorder des subsides suffisans et réguliers, dont ils s’obstinent à ne pas comprendre l’absolue nécessité. Mais quoi ? une législation inexplicable ne permet même pas d’emprunter à une sage économie un secours qu’elle pourrait fournir en temps opportun : si la direction des musées n’a pas épuisé les fonds que le budget met à sa disposition chaque année, elle doit rendre le reste à la comptabilité publique. Comprend-on une condition plus inintelligente ? A qui profite cette tyrannie ? Ne semble-t-il pas qu’on prenne à tâche de décourager ceux dont on attend le plus de services ? et si, pour se soustraire aux suites de leur obéissance, si, pour tromper ce règlement ennemi, les conservateurs, pressés par l’année qui les